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« De l’objet à l’ob/ je »
" Sur la scène intérieure" de Marcel Cohen
Par son titre mystérieux et paradoxal, le livre de Marcel Cohen me troubla. En secret, je fomentais une hypothèse. Curieusement, mon trouble s'accentua au cours de la lecture, sans pour autant altérer la spontanéité de mon interprétation initiale. A l’issue du " voyage, ce titre ambivalent m’apparut comme la « clef herméneutique qui rend cohérent l’ensemble », selon la formule appliquée par Beate Bengard aux épigraphes de Marcel Cohen. Ainsi dès le départ, j’accordais au mot « scène » son acception freudienne, à savoir une allusion au cadre analytique sous-jacent. Rappelons que Freud parle de « l’autre scène » pour évoquer l’analyse. Au fil de la lecture, les mini - récits de l’auteur, les menus « faits » m’apparurent comme autant de rêves à décrypter, de fragments discursifs et "bifurqués" que Marcel Cohen nous offrirait à interpréter. C’est donc sous cet angle que j’aborderai le texte.
Le dispositif scénique :
L’expression « objet –livre » s’applique avec exactitude à l’ouvrage de Marcel Cohen. Objet –livre et livre - objet, celui-ci met en place une série de clichés représentant quelques accompagnateurs du quotidien, "objets inanimés » et "sans âme" qui côtoyèrent sa famille. Une espèce de collecte s’organise autour des argentiques scories d’un passé défunt. Décrits avec minutie, couchés sur planches, figés dans la concrétion du livre, ces objets font figure de « natures mortes », au sens littéral du terme. Que ce soit par le côté glacé des photos, par le ton détaché sur lequel ils sont évoqués, par l'absence de lien qui les juxtapose de façon muséale, ceux –ci semblent " re/réifiés" par l’auteur, coagulés dans une écriture muette et blanche. Citons pour exemple, qui ouvrent la galerie : côté maternel, un coquetier, des gants et un livre, une malle vide en osier, une montre, et pour le père : un petit chien, un violon, des lunettes, une résille, un pot de gomina, un étui à cigarettes… Volontairement dénuée de tout artifice stylistique, désirant « montrer plutôt que dire »( Walter BenjamIn), au regard de son thème, l’écriture d’emblée nous alerte, tant elle « semble s’ériger sur une parole négative, un évidement obstiné et patient du langage »( Jean Frémont). Au fond, le but extrême de l’auteur semble résider dans un « rien -à - dire », où le lecteur serait maître. Ainsi, on peut avancer que lire Marcel Cohen, c’est lire ce qui n’est pas écrit. Ecriture dépouillée, détachée à l’extrême, hantée par « sa propre impasse », comment le lecteur pourrait–il ne pas percevoir dans cet évitement de toute subjectivité, dans sa tentation du silence, sa répulsion à l’approche du centre de gravité qu’est le moi, la marque d’une sidération, d’une aphasie sous l’effet de l’effroi ?
Le laconisme du style, la glaciation formelle, est perçue au cours de la lecture comme le rappel d'une désertion de la psyché face à un réel trop menaçant. Constat qui nous amène à interroger la nature exacte de ce « trauma », eu égard à la distinction établie par les psychologues entre traumatisme historique et traumatisme psychique, frontière complexe, nous le verrons.
En outre, la fragmentation, le recours aux listes, donnent à l’ouvrage une structure éclatée, segmentée, de lecture non cursive. En bref, un texte chaotique, dont on peut croire qu’il est le reflet de la lettre que Marie adresse à son frère, avant son départ pour Drancy, dans laquelle, des « lambeaux de phrase ont disparu » ; à ceci près que la lettre maternelle est noyée par les larmes.
S'ajoute à ce morcellement textuel, une extrême précision, une vision minutieuse, une « myopie », selon l’expression gracquienne, abondamment commentées. Un grain de beauté, le cran d’une mèche, le col qui blesse et irrite, le sillage d’un parfum, offre, à tour de rôle, un prétexte à une vigilante attention. Là encore, comment ne pas pressentir dans ce goût de l’infime, dans sa prédilection pour l’anecdote, si chers aux analystes, la marque d’un « déplacement » dans le processus de la mémoire ?
Ainsi, au fil des pages, d’infimes signaux, des avertisseurs aiguillonnent le lecteur, orientent son interprétation. Porté par cette écoute à fleur de conscience qui sous -tend la lecture, celui –ci devine la quête d’un autre sens que l’auteur implicitement sollicite.
Témoin en est l ’« inquiétante étrangeté » qui opacifie les événements. Autour de chaque geste rôde une suspicion d’insolite, le moindre fait guidé par un hasard aussi implacable que ténébreux. Concernant son choix d’une eau de Cologne, l’auteur nous confie « je choisis très vite, sans hésiter … en répondant à une injonction aberrante », plus loin, au sujet d’une phrase prégnante « je n’ai jamais compris pourquoi (elle) m’est si bien restée en mémoire ». Les retours sur les lieux, les répétitions du passé se font « à son insu », « sans en avoir le moins du monde conscience ». L’étrange côtoie souvent le burlesque, comme le cran rebelle de sa mèche, incongruité génétique qui le fait ressembler à un acteur d’« une comédie des années trente ». Ou encore sa réaction répulsive au mot « Wepler », dont l’auteur souligne « tout le ridicule ». Rappelons également l’hyperréalisme du petit ours qui provoque, des années après, un vertige identificatoire, un trouble spéculaire.
Grossissement de l’infime, prégnance de l’anecdote, le lecteur reconnaît enfin ce que Freud nomme « souvenir - écran ». (formation qui se caractérise, rappelons - le, par une hyper netteté paradoxale eu égard à la banalité de l'événement).
L’exemple le plus frappant est cette scène en relief, où Marcel et son père se retrouvent face -à -face, champ contre champ, dans l’appartement familial, le contre -jour surlignant l’absence maternelle, dans une atmosphère « tout à fait inhabituelle » le père ébauchant un geste : « jamais Jacques ne s’est adressé à moi en me tenant ainsi ». Un pareil trouble est signalé à propos de la quête de l’eau de Cologne : « ce menu détail, pendant des mois, me troubla assez pour introduire un doute ».
Le scénario intérieur :
A y regarder de plus près, de séquence en séquence, un scénario se reproduit, avec des variantes diversement modulées.
La première étape de ce schéma pourrait s'apparenter à un appel à témoin. L’intervention d’un tiers, amie de la famille, cousine germaine, marchand d’art, semble souvent nécessaire à déclencher l’histoire. Sous l'oreille attentive du narrateur, l'observateur apporte des éléments qui ouvrent les hypothèses et la voie à la souvenance. Celle - ci, au présent, se détache en avant - plan comme une vision hallucinatoire. Deux formes de récits s'arriment donc, se cautionnent et se heurtent. Paradoxalement, la narration de l'autobiographe se présente comme plus extérieure, moins fiable que celle de l'intercesseur, lequel accrédite la fable mémorielle, lui confère force de vérité.
Dans le cheminement des " microdrames" ou anecdotes, on constate plusieurs possibilités.
Soit le narrateur se campe dans une dénégation de façon catégorique : « je n’ai aucun souvenir d’avoir entendu Jacques jouer du violon » ou « je n’ai pas le moindre souvenir d’avoir vu Marie enceinte », « aucun souvenir devant le berceau », « c’est à peine si je me souvenais que mon père était brun ». Des postulats à la Perec, des antiphrases qui ne sauraient masquer la force de dissimulation de l’inconscient et soulignent la résistance d’un retour possible du refoulé. L’amnésie de l’image de la mère enceinte est, à ce titre, frappante, comme celle, quelques pages plus loin, du landau vide.
Autre cas de figure, l’auteur soupçonne quelque chose, une vérité sur le point de se révéler ; dans un climat de trouble extrême, un parallélisme s’établit entre passé et présent, malgré le doute qui s’installe (avec sa rhétorique, occurrence des « peut-être », questions oratoires…) le travail associatif s’amorce, désigne la force de la compulsive répétition.
Parmi ces « ponts » virtuels que l'auteur met à jour, des trajets : « je découvre … que sans en avoir le moins conscience je continue à emprunter le trottoir opposé », certains lieux : « c’est le seul endroit du parc… où l’idée de m’asseoir aurait un sens », mais aussitôt il ajoute « cependant je ne le fais jamais » ; quant à sa persistance cutanée au parfum, il balaye, d'une brève prétérition, (« je n’ose imaginer ») son incidence sur ses « rapports avec les femmes ».
Plus loin, concernant le berceau vide : « je sais bien qu’un enfant ne voit que ce qu'il veut voir » concession suivie d’une désinvolte démonstration : « je me vois tenant le montant chromé du landau, dont je ne suis pas sûr qu’une sœur se trouve ». Et le lecteur de s’interroger sur la portée que le narrateur donne à cette remémoration réparatrice qui le restitue à posteriori dans son statut "d’enfant-roi" ? Plus tard, conscient du deuil non effectué de sa sœur : « j’en déduis que Monique, officiellement, est encore en vie ». Remarquons comment le conflit personnel entre à ce niveau en résonance avec l'onde de choc infligée par l'Histoire, sans jamais s'en disjoindre.
C’est alors, au plus près d'un intime secret, que le récit coupe court. Dans un effet de suspens, l’auteur bifurque. Le lecteur se sent démuni, hésitant sur le degré de conscience qu’a l’auteur de la portée de son interprétation, incapable de mener à bien, faute de chaîne associative consistante l’ébauche interprétative, mais établissant encore des liens, des fragments de sens, sous l’effet d’une sollicitation permanente.
La quête de sens :
Volontairement elliptique, « ménageant un vide pour créer un appel de parole », le texte ne cesse ainsi de jouer « avec le désir du lecteur ». Celui-ci est mis au défi de reconstruire des liens implicites, d’interpréter des vérités quelque peu voilées. Que recouvre donc de la part de l’auteur une telle demande ?
Si nous reprenons les micro-objets qui transitent entre l'écrivain et l'histoire, frappés par l’obsession du détail qui les rendrait authentiques, cette demande se révèle rapidement comme un parcours identificatoire. Dans le musée familial, chaque relique ne vaut que parce qu’elle est l'estampille d’une vérité historique, un tremplin pour la conscience de soi. Sur le violon paternel, c’est l’étiquette qui est traquée, le timbre du studio sur la photo de Jacques, la marque en ce qui concerne les lunettes et le parfum, les points de suture incrustés sur le tissu du jouet. Bref, un certificat d’authenticité, plus encore, un poinçon du Nom du père est l'objet de la requête, si l'on en croit l’effet déréalisant de la vision de Jacques sans ses lunettes (plus exactement sans « sa monture ») chez le garçonnet qui ne reconnaît plus son père, ou ne le reconnaît plus en tant que père ?
Considérant la nature ontologique de cette quête, telle qu'elle s'est à demi dévoilée, une symbolique des objets peut se profiler.
Au commencement de l'histoire, le blanc coquetier s'impose par sa dimension métaphysique.
Dressé sur son pied, béant de blancheur dans sa coque -chrysalide, doté d'une auréole où l’auteur devine un papillon, l'emblème maternel « n’est donc pas seulement » comme l'observe M. Cohen, « la concrétion d’un souvenir ». Aussi fragile et légèrement brisé, le violon paternel sera, plus loin, par un jeu d'échos l'adoubant en objet partiel, pareillement qualifié, de « fissuré ».
Si l'on répertorie les miniatures de l'univers maternel, on découvre une pochette de cuir, un sac vide et une malle d'osier également vide, une vasque aux eaux tumultueuses, en bref, des objets en creux, petites niches étanches, tièdes fourreaux- écrins utérins - où l'enfant aime s'enfouir.
Dans la pochette « de cuir noir », que Marie arbore lors de son voyage de noces, le petit Marcel a « plusieurs fois enfoui le visage », avec relève -t -il, « le sentiment d'être au cœur d'un mystère ». Monique pas encore née, Marcel déjà interroge le « contenant noir » avec un petit air impérial de fils unique. Quelques lignes plus loin, au milieu de l'anecdote, serti de blanc, le verset claque :
« Né, comme Marie, un 9 octobre ».
Si le jeu de l'enfant à l'intérieur de la malle relève d'un fantasme éminemment régressif, la scène de la lutte avec la mère dans la baignoire possède la torride et cruelle passion des amants qui se déchirent. Cependant, malgré l'intermittence de fantasmes archaïsants, la figure maternelle chez Marcel est, en général, une image idéalisée et oedipialisée. Cela transparaît dès le premier portrait de Marie, où le qualificatif « belle » rebondit en quelques lignes à trois reprises, la jeune femme présentée comme rayonnante, radiante, irrésistible, « à l'égal de sa beauté » dangereusement séductrice. Elle inaugure le livre ; « petite reine », elle règne en majesté sur le plus long chapitre.
A l'instar de Marie, Jacques, son père réel, renvoie chez Marcel à une instance également élaborée ; intériorisée et plurielle, figure interdictrice et identificatoire. Le garçonnet est impressionné par le pas écrasant de son géniteur « bruyant, martelant » le parquet et fasciné par le violoniste dont la virtuosité, comme l'empreinte évanescente de sa flagrance, le subjugue.
On pourrait dire que, d'une certaine façon, tout est en place. Au gré des pages, le « roman familial » aime à décliner son âge d'or, ses scènes originelles, voyage de noces, première rencontre et les mystères de son « avant soi ». La mythification du récit d'enfance fréquemment annoncée par des références christiques, une brillance du noir, une phosphorescence argentée, la mystique poétique d'un nom : « C'est le fils de Marie !».
Tout pourrait, chez l'enfant, être effectivement en place. A ceci près que la précocité de son développement psychique rendra inabordable le trauma apposé par l'histoire assassine. Jamais l'adulte ne parviendra à se remémorer ; sempiternellement, l'écrivain rêvera d'une salvatrice "abréaction".
Le mémorial des objets et la galerie des propriétaires est une œuvre inachevée. Mais avec elle, s'esquisse l'arborescente lignée des aïeux et collatéraux, dont la simple mention sonne comme un rempart contre l'oubli. L'entreprise témoigne également, d'une façon plus profonde, de la volonté de l'écrivain de s'inscrire comme sujet patronymique dans la « chaîne du symbolique ». D'où le fait que l'ouvrage revêt à première vue l'apparence d'un herbier généalogique. Mais dans le même temps, la réalité s'avère illusoire, les documents aléatoires, les photos elles-mêmes trompeuses. A chaque feuillet, l 'album se replie sur le vide.
Par de nombreux aspects, Marcel Cohen s'inscrit dans cette catégorie d'écrivains qui, enfants durant la Shoah, se révèlent, par une écriture déconstruite et tâtonnante « hantés par une préhistoire qu'ils ignorent ». Pour la majorité d'entre eux, dénigrant l'illusion romanesque, leur œuvre orphique vise moins à restaurer le passé qu'à rendre palpable l'indicible impact de son altération. Dans le choeur des témoins, Marcel Cohen porte une voix feutrée, rétive, fragile et cependant extrêmement maîtrisée, qui instille dans nos cœurs une muette et minimale poétique.
Magali DELLAPORTA, juin 2016
Le ciel par-dessus toi
Carnets de notes de Pierre Bergounioux (édition Verdier) 2011- 2015
Tous ces faits et gestes que vous aviez oubliés, vous les découvrirez, car, ça vous revient, vous les aviez recueillis sur un carnet éphéméride et ils remonteront à votre mémoire, dans une sorte d’illusion scripturale, un peu comme on croit reconnaître, au hasard d’une rue, un personnage d’autrefois, tel qu’il fut, tel qu’il s’est fixé, intact, indemne des affres du temps et du vieillissement. Le rituel de votre quotidien passé se dévidera, depuis vos réveils plus maladifs avec l’âge, vos matins maléficieux, vos constrictions thoraciques, vos projets balisés, à commencer par la maison de retraite de votre mère, devenue l’ombre d’elle-même, depuis celui qui vous conduit aux Beaux Arts, où vous assurer vos cours, jusqu’au retour dans la banlieue sud, en RER, parmi ces jeunes qui élucubrent « très haut des choses très petites » et avant la clausule de l’après –midi avec la promenade lancée par votre épouse, dans les environs, ou « jusqu’au parc du CNR » où le « froid a figé la reverdie », où les lilas ont passé fleur.
Parallèlement à cette comptabilité du quotidien et conformément aux codes du journal intime, vous trouverez annotées des réflexions philosophiques, politico- historiques ( entre autre sur l’évolution du roman) des « pensées « vagabondes, à la Montaigne, sans oublier les innombrables causeries que vous dispensez, en votre qualité d’écrivain et de penseur de la littérature, au Collège de France, à la Maison de la radio, au Musée des Arts Premiers, et les voyages à l’étranger. Cependant, vous ne manquerez pas de vous interroger sur ce curieux paradoxe que , malgré le foisonnement de votre vie sociale et culturelle, malgré les amitiés indestructibles, certaines parmi des écrivains de demain, malgré l’élan heuristique qui vous fait engloutir « tous les livres » , malgré la féerie réitérée qu’auréole à chacun de ses pas votre « princesse mandchoue », « messagée » dès vos quatorze ans pour conjurer les forces du mal et la babillante relève de la chaîne symbolique générée par vos « petits », malgré en somme l’évidente réussite de votre vie, vous surplombe la tragique sensation d’une destinée à l’écart du monde, dans une tranchante et sublimante solitude, la perception, au fond, de n’être plus vraiment parmi les vivants. Alors, égarées parmi ces transcriptions fragmentaires, teintées d’un profond pessimisme et éternisées dans un présent perpétuel, écloseront, à vous faire lever les yeux de la page, vous dynamiter, vous foudroyer le cœur, des descriptions de ciels telles que vous auriez toujours rêvé de les écrire, des empyrées colorés au gré des saisons, de vos pérégrinations, dans le Paris de résidence, ciel « de cinéma », « artificiel, de studio, rose pâle sur fond bleu « ou dans votre Corrèze d’origine, ciel « tendu d’un rideau ardoise … matelassé de calmes nuées, bleues, frangées de blanc » et par temps couvé, dans « une lumière d’hiver, longue, anémiée, jaunie » un ciel dramatique.
Une indicible allégresse vous soulèvera, vous musiquerez votre vie au rythme d’une seule et longue phrase. Vous aurez quitté la « librairie du parc », un gros carnet boucle d’or dans vos bras comme un soleil « écarlate et glacé », vous traverserez votre claire Villette, vous regarderez le ciel par-dessus vous.
Le cœur légèrement clivé, le ciel par-dessus toi.
Magali Dellaporta
mai 2016
Le ciel par-dessus toi
Carnets de notes de Pierre Bergounioux (édition Verdier) 2011- 2015
Tous ces faits et gestes que vous aviez oubliés, vous les découvrirez, car, ça vous revient, vous les aviez recueillis sur un carnet éphéméride et ils remonteront à votre mémoire, dans une sorte d’illusion scripturale, un peu comme on croit reconnaître, au hasard d’une rue, un personnage d’autrefois, tel qu’il fut, tel qu’il s’est fixé, intact, indemne des affres du temps et du vieillissement. Le rituel de votre quotidien passé se dévidera, depuis vos réveils plus maladifs avec l’âge, vos matins maléficieux, vos constrictions thoraciques, vos projets balisés, à commencer par la maison de retraite de votre mère, devenue l’ombre d’elle-même, depuis celui qui vous conduit aux Beaux Arts, où vous assurer vos cours, jusqu’au retour dans la banlieue sud, en RER, parmi ces jeunes qui élucubrent « très haut des choses très petites » et avant la clausule de l’après –midi avec la promenade lancée par votre épouse, dans les environs, ou « jusqu’au parc du CNR » où le « froid a figé la reverdie », où les lilas ont passé fleur.
Parallèlement à cette comptabilité du quotidien et conformément aux codes du journal intime, vous trouverez annotées des réflexions philosophiques, politico- historiques ( entre autre sur l’évolution du roman) des « pensées « vagabondes, à la Montaigne, sans oublier les innombrables causeries que vous dispensez, en votre qualité d’écrivain et de penseur de la littérature, au Collège de France, à la Maison de la radio, au Musée des Arts Premiers, et les voyages à l’étranger. Cependant, vous ne manquerez pas de vous interroger sur ce curieux paradoxe que , malgré le foisonnement de votre vie sociale et culturelle, malgré les amitiés indestructibles, certaines parmi des écrivains de demain, malgré l’élan heuristique qui vous fait engloutir « tous les livres » , malgré la féerie réitérée qu’auréole à chacun de ses pas votre « princesse mandchoue », « messagée » dès vos quatorze ans pour conjurer les forces du mal et la babillante relève de la chaîne symbolique générée par vos « petits », malgré en somme l’évidente réussite de votre vie, vous surplombe la tragique sensation d’une destinée à l’écart du monde, dans une tranchante et sublimante solitude, la perception, au fond, de n’être plus vraiment parmi les vivants. Alors, égarées parmi ces transcriptions fragmentaires, teintées d’un profond pessimisme et éternisées dans un présent perpétuel, écloseront, à vous faire lever les yeux de la page, vous dynamiter, vous foudroyer le cœur, des descriptions de ciels telles que vous auriez toujours rêvé de les écrire, des empyrées colorés au gré des saisons, de vos pérégrinations, dans le Paris de résidence, ciel « de cinéma », « artificiel, de studio, rose pâle sur fond bleu « ou dans votre Corrèze d’origine, ciel « tendu d’un rideau ardoise … matelassé de calmes nuées, bleues, frangées de blanc » et par temps couvé, dans « une lumière d’hiver, longue, anémiée, jaunie » un ciel dramatique.
Une indicible allégresse vous soulèvera, vous musiquerez votre vie au rythme d’une seule et longue phrase. Vous aurez quitté la « librairie du parc », un gros carnet boucle d’or dans vos bras comme un soleil « écarlate et glacé », vous traverserez votre claire Villette, vous regarderez le ciel par-dessus vous.
Le cœur légèrement clivé, le ciel par-dessus toi.
Magali Dellaporta
mai 2016
Hommage à Daniel Pennac
De ma grand-mère, il reste des histoires qu'avec son talent de conteuse elle nous répétait sans cesse, en changeant des détails mais quand il lui manquait un nom, un lieu, mon grand-père la remettait dans le droit chemin, heureux d'entendre toujours les histoires, qui étaient aussi celles de sa propre vie.
Je me disais toujours que je connaissais ces histoires par cœur et que je ne risquais pas de les oublier !
Mais au fur et à mesure mes histoires ont remplacé les siennes et l'oubli me gagne. C'est pourquoi, j'ai entrepris de tirer le fil, certaine de la retrouver au bout du labyrinthe. D'elle, il reste aussi des photos à tous les âges mais mes préférées sont celles d'elle comme je l'ai connue : une grand-mère a la peau pommelée et au grand de beauté exubérant de sa joue que chaque bébé voulait attraper.
Mais voilà que l'autre jour dans une salle obscure, j'ai vu Jeanne Moreau embrasser son petit-fils avec des petits claquements de lèvres comme si goulûment elle voulait garder en elle un peu de
cet enfant. Un baiser de grand-mère ! Je n'avais jamais perçu ce qu'il avait de si particulier. Est-ce l'absence de lèvres usées par le temps ou un baiser répété sur une peau si douce que
l'on veut la saisir et la sentir encore et encore ? Ce petit baiser répété qu'il m'était doux à entendre. J'ai souri, attendrie par ce baiser naturel d'une actrice dont les baisers furent bien
sûr autrefois plus passionnés.
Et puis soudain je ressentis un immense vide, là au creux de mon ventre comme si un organe avait soudain disparu et j'eus les larmes aux yeux.
Oui, monsieur Pennac quand un être nous manque : c'est bien l'absence de son corps qui nous bouleverse, corps irrémédiablement perdu et parfois évoqué au hasard d'un geste oublié, d'un baiser retrouvé.
Par Isabelle Gérard-Pigeaud, juin 2015
La bibliothèque vivante
Je suis là sur la table, ouvert page 21. Lisette s'est endormie. Je m'ennuie à la regarder souffler, ronfler même. Enfin, j'ai de la chance, elle a daigné ma prendre dans la bibliothèque et me ressusciter parmi les morts. Les livres debout bien rangés dans cette bibliothèque boisée sont des morts débout. Seule Lisette a le pouvoir de les rendre vivants. Elle est une déesse dans ce lieu reclus de la maison. Il n'y a qu'elle qui rentre de temps en temps depuis que le maître des lieux a disparu on ne sait où ? D'aucuns des livres abandonnés sur le bureau par le maître, disent qu'il est rentré dans une histoire et qu'il n'en est pas ressorti.
Alors Lisette qui croit tout ce qu'on dit dans les livres cherche son père. Mais comme elle n'est pas bonne lectrice, elle s'endort toujours page 21. Quand elle se réveille, elle s'en va, claque la porte furieuse et abandonne son livre. Tous les livres du bureau sont ouverts page 21 et souffrent comme moi d'un demi sommeil.
Un livre doit être lu en entier ou refermé dès les dix premières pages. Mais page 21, l'intrigue est déjà là : il faut être un mauvais livre pour qu'on vous abandonne ainsi sans vouloir connaître la fin. Et si son père se trouvait page 22 et qu'il ne voulait pas qu'on le trouve ! Moi je le comprends cet homme. La vie est plus vivante dans un livre. Enfin je dis ça mais je suis un livre d'aventures, alors bien sûr, je fais palpiter et rêver les hommes venant d'ailleurs. C'est certain cette bibliothèque éclairée à la lueur du feu de cheminée, ça fait pas vraiment rêver. Et puis tous ces livres morts debout, même pas des morts vivants. Moi ça m'angoisserait. Finalement je la comprends la petite quand elle se sauve. C'est glauque ici !
Bon, pourtant je voudrais bien qu'elle revienne finir mon histoire. Le maître m'a lu une fois, enfant, puis m'a rangé dans la bibliothèque. Quand Lisette m'a fait revenir sur le bureau, j'étais fou de joie. En plus comme elle lisait à haute voix en ânonnant, je me disais que j'allais vivre longtemps. Page 21, c'est sûr que l'auteur a pris son temps et que page 21 on peut s'ennuyer un peu, mais bon, le pirate et sa fiancée sont déjà là ! C'est curieux qu'elle ne veuille pas connaître la fin de mon aventure. Mais on n'est pas le livre de l'auteur que l'on veut. Le mien était plutôt sympa mais pas très original. D'où le classement littérature enfantine.
Tiens Lisette revient, j'ai ma chance ! CLAC ! Je suis refermé. Heureusement elle ne fait que me repousser pour saisir un autre livre plus grand, plus épais, plus adulte. Je l'entends murmurer
- papa où es-tu ?
Cet enfant n'est pas si bête. Pourvu qu'elle dépasse la page 21. Sinon un jour, elle va tous nous mettre au feu et là plus de résurrection possible. Un autodafé : voilà le risque majeur pour une bibliothèque. Et Lisette je ne lui fais pas confiance. Ça peut lui prendre d'un coup et hop dans la cheminée. Mais elle est tellement persuadée que son père est dans un livre. Quand même je n'ai pas confiance.
Allez, il y en a bien un qui va lui plaire et qu'elle va lire en entier. J'ai entendu la sorcière :
- pour délivrer le père, un livre en entier tu liras. Avec Lisette, c'est pas gagné.
Mais elle va finir pas faire des progrès. A huit ans elle a toute une vie pout lire tous les livres de la bibliothèque.
Par Isabelle Gérard-Pigeaud, avril 2015
En hommage à Laura Alcoba
Enfant, j’étais fière de ma mère : elle n'avait aucun accent et je faisais toujours une révélation extraordinaire quand je disais que ma mère n'était pas française.
J'appréciais moyennement qu'on se moque de moi quand je parlais de ma Grossmama et mon Grosspapa. En vérité cela me rendait furieuse et je disais :
- mais en allemand gross ça veut dire grand !
Cela n'empêchait personne de rire et en plus on parlait encore de la Gross Bertha.
Personne ne pouvait savoir que ma mère était allemande : elle était très discrète sur ses origines et mettait un pont d'honneur à nous lire des livres français et avait acheté toutes les chansons enfantines françaises en 45 tours qu'elle apprenait en même temps que nous, ses enfants. Avec moi l'aînée elle a tenté de m'apprendre des contines allemandes mais nous nous sommes lassées toutes les deux.
Je n'ai d'abord pas compris quand on m'a traité de sale boche puis j'ai commencé à voir des films et à lire des livres en douce a la bibliothèque du collège et là j'ai pleuré.
Puis j'ai posé des questions dont les réponses m'ont soulagées : pas de bourreau dans la famille. Juste une mère élevant seule cinq enfants pendant la guerre.
Alors j'ai fait un truc bizarre : je me suis mises à dire s tout le monde que ma mère était allemande. Je me disais que j'évitais les sujets inabordables pour moi. Je ne connaissais pas la
personne depuis cinq minutes qu'elle savait. En gros, ce que ma mère cachait si bien, je le clamais avec fierté. En effet, plus j'ai fait d'histoire et plus j'ai questionné, plus j'ai été fière
de ma famille. Jusqu'à la rencontre de Laura Alcoba, je n’avais rien compris. En vérité je ne m'étais même pas posé de questions : ma mère était formidablement douée pour les langues,
point.
J'aurais dû me questionner quand les gens me disaient :
- tu dois être bilingue
Je répondais :
- pas tout à fait car ma mère ne nous parlait pas allemand.
Aux regards incrédules, je répondais :
- mon père ne parlait pas l'allemand, cela aurait posé problème
puis cette réponse ne tenant plus, je finis par dire que j'étais née en 1962 et que ce ne devait pas être facile de parler cette langue ennemie dans la rue.
Quand est apparue Laura Alcoba tellement française, je dirais tellement parisienne et qu'elle s'est mise à parler ce français sans aucun accent et à expliquer qu'elle ne pouvait même pas écrire
ses souvenirs d'enfance Argentine en espagnol, je me suis interrogée sur cette intégration parfaite de ma mère alors que d'autres gardent fièrement leur accent même les régionaux : un
toulousain ou un marseillais ça s'entend. !
Ma mère avait elle voulu cacher ses origines : en avait elle honte ? Avait elle peur du regard des autres ? était ce sa façon à elle de s'intégrer ? Pourtant on ne parlait pas de ça dans les années 60. Mon père l'a voulait-il toute à lui française.
Je ne lui connais pas d'amie allemande. Pourtant pour gagner notre vie elle a été professeur d'allemand.
Ce qui me trouble, c'est qu'en vieillissant elle se rapproche de ses frère et sœurs, de ses origines et c'est elle qui entraîne mon père de l'autre côté du Rhin.
Langue interdite ou langue maudite, elle vous rattrapera chère écrivain, faisons en le pari.
Par Isabelle Gérard-Pigeaud, juin 2015
ROMA/ ROMAN
Philippe de la Genardière (Actes Sud)
Virtuose romance
Les mots semblent avoir perdu la mémoire. Comme s’ils balbutiaient pour retrouver le fil de leur histoire. Roma…Roman.
Sensation d’une vie déjà vécue, émergence du souvenir, après ce coup de fil qui la convoque à Rome pour célébrer le film dont elle fut l’icône, Ariane ne sait
plus.
Vingt ans plus tard, lasse de la vaine pavane des corps, la starlette endiablée devenue « analyste des âmes » se décide pourtant à retrouver sous les feux
déclinants de la cité antique les hommes qui ont façonné sa légende.
Adrien, réalisateur de « Ciné Roman » - un incunable du septième art- et Jim, son partenaire et ex –amant, vont se livrer sous ses yeux à une dérisoire
confrontation, mesurant à quel point, parfois à leur insu, « ils s’étaient tant aimés ».
Si le récit des retrouvailles est d’abord dévoilé par le prisme d’une femme de quarante ans fouillant les strates de son passé, il est repris par chaque
personnage qui lui imprime sa vision. Des monologues orchestrés par une voix venue d’ailleurs, dont le vouvoiement résonne comme une incantation. Sous l’ effet du « vous », nous pénétrons dans la
division du sujet, possédés par cette voix intérieure particulière à chaque être, dont les périodes de la phrase épousent la scansion.
C’est sans doute l’écho de la parole d’Ariane qui demeure lorsqu’on a refermé le livre. Comme Rome, dont elle retrouve les sentes et qu’elle arpente de sa
démarche dissonante, Ariane se réapproprie sa légende. Elle seule tire les fils du récit et déjoue les ruses du temps.
Avec sa beauté distante et quiète, Ariane possède ce rapport au monde, ce regard pacifié, parfois posé comme une absolution, que lui confère le voisinage de
l’inconscient. Adrien se débattant entre son intellectualisme décadent et ses rudesses de classe, tandis que Jim se projette dans l’écriture d’un possible roman.
Rejoignent le trio d’autres personnages qui brouillent les pistes, adjuvants d’une narratologie très maîtrisée. Marco, jeune italien « caravagesque » et
Mélanie, actrice du nouveau film d’Adrien, se croisent parmi les festivités commémoratives, sous la lumière « orangée » de la Villa M et des vestiges de la cité romaine.
Sous l’égide du cinéma, de ses plus grands noms, le roman foisonne de références à un passé chargé d’histoire.
Dans la lignée d’un illustre héritage et sur les traces du « temps retrouvé », Philippe de la Genardière s’attaque ici à l’expérience de la confrontation avec
un passé revisité, suscitant chez le lecteur l’illusion d’une mémoire textuelle qui traverserait son œuvre ; pour qui a déjà lu son précédent récit (« l’année de l’éclipse »), le trouble est
immense.
Désorienté par la récurrence des fantasmes, dérouté quelquefois par l’image idéale de la femme, perdu dans les méandres d’une ville mythique, le lecteur flotte
entre les lignes d’une fiction qu’il croit avoir déjà lue, mélangeant les personnages, l’écrivain, l’artiste, le/ la psy, comme fragmentations probables de l’ auteur/ narrateur.
Cette virtuosité d’une écriture dont le sensualisme nous emporte au -delà de la conscience et du temps constitue probablement la prouesse de l’
oeuvre.
Magali Dellaporta
avril 2013
Une odeur de henné de Cécile Oumhani
Elyzad poche
Une odeur de henné est un livre vivant où sensibilité et délicatesse se mêlent dans un style agréable porté par de belles images narratives.
L’auteure nous mène au cœur des questions d’actualité de la société tunisienne, telles que la tradition, la religion, les soumissions imposées, avec le cortège des conséquences dramatiques sur la psyché.
Kenza est l’héroïne du livre, elle a lutté dès son plus jeune âge contre la vie qui était la sienne au nom de la tradition : « la vie ne serait qu’un contrat à remplir très loin de soi-même ».
Kenza est traumatisée lorsqu’enfant elle découvre le sang répandu lors du sacrifice du mouton, elle est studieuse et fera des études de médecine qui la conduiront à vivre un an à Paris…
Elle résiste à la tentation amoureuse et reste prisonnière des interdits et des contraintes sociales qui s’imposent douloureusement à elle, au point d’annihiler son désir, et elle se trouve devant des choix qu’elle ne peut pas faire, sans dommage pour elle-même.
Pour connaître la fin de « l’histoire », il faut lire le livre…
C’est tragique et humain, on est touché et on se sent concerné…
Pierrette
mars 2013
Nos Silences de Wahiba Khiari
Elyzad, 2009
Algérie, 1990 : une vague de violence plonge le pays dans la haine et la terreur. Une jeune femme, professeur d’anglais, tente d’abord de résister puis finit par quitter son pays puisqu’il est devenu impossible d’y vivre.
Deux voix se font écho, s’opposent et s’entremêlent dans ce récit. Celle de la jeune femme en exil, déchirée entre bonheur et culpabilité. Et celle, d’une de ces nombreuses très jeunes filles brutalement disparues, séquestrées, violées et abandonnées de tous.
Nos Silences rompt le silence, dit l’indicible, donne la parole à tous ceux et toutes celles qui ont subi l’horreur, le déchirement, la honte, la souffrance et la mort. Nos Silences crie la haine contre ceux qui ont trahi le peuple et tracé le chemin du crime.
Le récit pourrait être insoutenable. Mais l’équilibre entre sincérité et pudeur, entre réel et poésie, entre violence et silence maintient sans cesse le pathos à distance. Pour Wahiba Khiari, comme pour Marguerite Duras citée en exergue « Écrire… C’est hurler sans bruit ».
Ce premier roman d’une auteure francophone a reçu en 2010 le prix Senghor, prix qui récompense une œuvre belle, vraie, chargée d’humanité. Prix, à notre avis tout à fait justifié.
Anne
mars 2013
La marche de l’incertitude de Yamen Manai
Elyzad poche
J’ai été infiniment sensible à la lecture de La marche de l’incertitude qui est un livre vivant, vibrant, empreint de sensualité où rêve et réalité se mêlent et s’entremêlent pour captiver l’attention du lecteur. On s’éprend vite des personnages qui sont attachants dans leur soif d’amour et de retrouvailles.
On peut parler de hasard, mais le sort qui s’acharne à séparer et puis à rassembler flirte avec la magie des mots…c’est du bonheur, et on respire les senteurs de la Tunisie captivante et attachante décrite dans une très belle écriture.
Pierrette
mars 2013
A nous deux, Paris ! de Benoît Duteurtre
(Fayard 2012)
A nous deux, Paris ! est un roman d'apprentissage autobiographique où le narrateur fait le récit de son arrivée à Paris, à vingt ans, dans les années 80, pour suivre un cursus à l’université : dans les faits, son objectif est surtout de percer en tant que musicien.
Le précédent opus de cette entreprise romanesque, intitulé L'Eté 76, livrait le récit d’un adolescent partagé entre une vie rangée en province et la découverte exaltée de sa vocation d'écrivain. Dans ce texte, empreint d'humour et de sincérité, un passage à propos de Beckett – "(...) ce goût de raconter, cette fantaisie dans l'invention, cette liberté, et surtout ce rire qui exprime le plaisir de l'esprit - tout comme la volupté visuelle ou auditive prolonge le mystère de la peinture et de la musique." – rendait obligatoire la lecture de la suite.
A nous deux, Paris ! s'est révélé à la hauteur de nos attentes. Avec des ingrédients Balzaciens (ambition d'un jeune provincial qui veut pénétrer le milieu de la musique et de la nuit, beaucoup de personnages secondaires très bien campés, passions familiales, gloires éphémères et échecs cinglants, splendeur et misère d'une jeunesse cocaïnée), Benoît Duteurtre réussit un roman habilement composé et très agréable à lire. On ressent à la lecture ce "plaisir de l'esprit" qu'il attribuait fort justement à Beckett et dont il a trouvé lui aussi, à sa manière, le secret en rédigeant ce livre.
Laurent
Ceux qui n'en mènent pas large de Jean-Pierre Martinet
Le Dilettante
C'est l'histoire d'une soirée de Maman, Georges Maman, deuxième prix du conservatoire dans sa jeunesse et qui a connu son heure de gloire en jouant Shakespeare à Avignon, à présent au chômage,
fauché, oublié. La soirée démarre dans un troquet à Paris. Le serveur l'observe avec insistance, Maman se prend à espérer que ce soit pour le remettre : non, c'est juste un regard agacé sur un
pauvre type qui pulvérise machinalement des oeufs durs sur le comptoir en buvant des bières. Mais cette soirée vouée à être comme les autres, la loi du roman ne le permettra pas. Une vieille
connaissance de Maman débarque dans le rade, Michel Dagonard, assistant-réalisateur tout aussi raté que Maman mais pourvu d'une qualité respectable : la solvabilité. Maman exècre Dagonard, sa
grossièreté, son absence de tact, sa violence, mais accepte sa compagnie dans le but de lui soutirer un ou deux Montesquieu, et de se faire offrir un bon gueuleton comme tribut au rôle de
punching-ball auquel le soumet Dagonard, trop content d'avoir sous la main un type qu'il estime plus minable et malheureux que lui. S'en suit le récit de ce voyage au bout de la nuit entre deux
paumés qui s'attirent et se repoussent pour de basses raisons sous lesquelles perce parfois la compassion pour l'autre, et surtout, pour soi.
Les phrases de Martinet s'enchaînent sans faiblir. "Mais voilà, il n'y pouvait rien, les larmes coulaient lentement sur ses joues, il avait beau essayer de ne pas renifler, de rester digne, on
voyait bien qu'il chialait. Et dire qu'il n'y avait pas de caméra pour le filmer." En arrière-plan, le cinéma, la seule passion qui leur reste, est aussi l'unique note d'espoir dans cette
descente aux enfers. Au moins, il y en a une, contrairement à un autre roman de Martinet, paru la même année, L'Ombre des forêts, un des livres les plus désespérés de la littérature.
Ceux qui n'en mènent pas large est un roman très pur, pas vraiment loin du théâtre dans sa forme, que je me hâterais d'adapter pour les planches si j'étais metteur en scène.
Le pigiste d'un jour, satisfait de son appel du pied aussi délicat qu'un tacle de défenseur italien, se retire.
Laurent
Le Périple de Baldassare tome 1, « Le Centième nom »
de Joël Alessandra
d'après le roman d'Amin Maalouf
Casterman, 2011
L'homme n'est pas toujours malin, mais il a de l'imagination. Et le goût des secrets bien cachés au cœur de livres à l'existence fantomatique : à peine lui tombent-ils entre les mains qu'ils s'en
échappent et filent avec le premier venu, qu'il faudra poursuivre à travers mers et déserts pour rattraper l'infidèle volume. Question, parfois, de survie. Car c'est le diable qui guette l'homme
au seuil de l'année maléfique : la bête démoniaque de l'Apocalypse va emporter un monde déjà bien vieux en 1666. A moins que Baldassare, le libraire de Gibelet, ne retrouve à temps le précieux
ouvrage, vendu imprudemment à un ambassadeur Français, et où, d'après la légende, serait dévoilé le mot qui, seul, peut sauver l'humanité : le très mystérieux, le suprême centième nom
d'Allah.
Le lecteur, ce voyageur immobile et quelque peu craintif, trouve dans les aquarelles de Joël Alessandra l'Orient aride d'un Liban d'ocre et de café où explosent par bouquet les verts d'un
palmier, d'un cèdre, surgis d'entre les murailles. Dans un ciel largement offert, les minarets tremblotent comme des cyprès, les croix se dressent sur les coupoles aussi blanches qu'orthodoxes
tandis que les silhouettes colorées des villageois ondulent sur les chemins caillouteux, trop calmes, épiés par les brigands. Indifférent à la fin du monde qui approche, le dromadaire ne se
départit pas de sa royale lenteur, et laisse à Baldassare le temps de goûter les plaisirs clandestins des rondeurs d'une jeune veuve et la sage conversation des pérégrins croisés sur la route.
Mais la quête du livre salvateur doit se poursuivre malgré les embûches et la mort qui n'est jamais bien loin. Elle conduit le lecteur d'Alep à Constantinople au rythme tumultueux d'un récit
d'aventure, de mystère et d'amour que l'on est pas pressé de voir finir.
Juliette Keating
Splendide et nue dans la nuit des mots
Longtemps, la peinture de Pierre Bonnard me laissa indifférente.
Dans mon imaginaire, je l’associais à des représentations d’enclos légèrement ocrés, de baies paisibles, d’antres barrés d’un reflet borgne.
Bref, j’avais décidé que la bienheureuse sérénité de ces scènes m’ennuyait.
Durant cette période, surtout avide de littérature, je me mis en quête d’un poète contemporain susceptible de se confronter à son être de papier, un « co-vivant » dont je pourrais évaluer la
photogénie littéraire.
On m’indiqua un écrivain dont la globalité de l’œuvre méritait l’appellatif de poétique. Le grelot de son nom régala mes oreilles enfantines. Prénom et patronyme s’entrechoquaient dans un
tintement des plus drolatiques. Ainsi je découvris Guy Goffette et débutais son livre consacré à Pierre Bonnard, peintre d’un rendez-vous manqué.
La couverture reproduisait un détail de « L’eau de Cologne » ou « nu en contre jour ». Le récit proprement dit, la biographie du peintre, était précédé de quatre pages en italique.
Là, dans l’oblique reflet de ces lettres, la lumière m’illumina, mon esprit embrumé se décilla.
Dés la première page, par le truchement du narrateur qui s’était introduit dans un musée obscur, j’avançais, mon œil glissait sur le tremblant bougé des lettres, je lisais sous le toit pentu des
lignes qui se couchaient comme les épis dans un champ de blé.
Une femme était apparue.
Elle avait surgi devant lui. Ils se tenaient face à face
Témoin de la fulgurante rencontre, je buvais ses paroles, et lui, feignant de m’ignorer, de s’adresser à l’autre, et à un autre à travers elle, hurlait son amour, il découvrait sa bien-aimée,
dans une ardente incantation, un brûlant et délirant blason, il la célébrait, il me guidait, me menait par le bout des yeux et nous perpétuions à travers le babil du lettrage et du temps le
magique rituel de la lecture, le jeu de la fiction s’était subrepticement mis en route, le pacte qui nous liait, je le concède, plus pulsionnel que contractuel.
Marthe était nue.
Debout sur la toile. Fièrement cambrée, elle s’aspergeait de parfum bleu dans un antre barré d’un reflet borgne. Enfin, je la voyais. Dans un éclair foudroyant, je la voyais, nous la voyions,
unis tous deux par la force de l’après-coup, vous, revisitant son corps dans l’ivresse de l’écriture, surlignant d’un noir d’encre ses courbes sur « le vide papier que la blancheur défend », moi,
dont l’œil par instants se détachait de l’or du texte, la contemplant sur la couverture, vous imaginant la contemplant, la parant également de mes fantasmes, réécrivant des milliers de tableaux,
de fausses toiles, échangeant ainsi nos petites ekphrasis, la tension de votre regard aiguisant le mien par un réflexe mimétique j’avais épousé la prosodie de votre vision, j’ignorais qui
regardait, et le temps s’étant décidément aboli, là-haut, Pierre, rival ou fol amant, maintenait Marthe sur le point exact du contre-jour.
Le buste impertinent, la courbure impétueuse du dos, la « croupe frémissante », le captif reflet de « cette Ève en ballerines noires » sur le miroir éclaboussé, la vasque à ses côtés « comme
l’hommage d’un roi », j’ai tout vu. Senti le bleu Cologne qui, lorsque nous étions enfants, marquait la touche finale sur la toile un peu pâlotte de nos corps.
Monsieur Goffette, pardonnez-moi, Marthe alors n’était plus à vous. Ni à son Pierre. Ni à personne.
Elle était là.
Hors de tout.
Splendide et nue dans la nuit des mots.
Le livre replié, le jaune de l’antre s’était enflammé, des pétales paillés butinaient le voile de mousseline d’où la lumière jaillissait. L’or essaimait aux quatre coins de la toile, là où je ne
l’avais jamais vu, « moi, qui avais des yeux pour ne pas voir ».
Oui, vous aviez enluminé Bonnard.
Les jours suivants, j’ai dû courir les musées, feuilleter les ouvrages d’art, recherchant tel tableau que mentionnait le livre, suivant les traces de Marthe, celles de Pierre, dont elle fut
l’épouse, la muse et le modèle. Pourtant avec le recul, étrangement je ne saurais dire si j’aime réellement Bonnard, simplement persuadée que Marthe, par la grâce d’une préface, demeurera dans ma
vie « Elle, par bonheur et toujours nue ».
Magali Dellaporta
Éloge à une préface
Elle, par bonheur, et toujours nue de Guy Goffette
Des cendres cristallines
Le Sel de Jean-Baptiste Del Amo pourrait relever de ces romans polyphoniques, curieusement chers à l’époque, qui, par l’entrecroisement des voix, reconstituent le
récit d’une famille.
Successivement, Louise et ses enfants nous livrent les fragments de leur passé alors qu’ils s’apprêtent à se retrouver à l’occasion d’un dîner. Tandis que Louise s’affaire dans sa demeure
sétoise, nous suivons Albin, Fanny et Jonas sur le trajet qui les conduit à la maison maternelle. Le long des canaux, leurs pensées glissent au fil de l’eau, remontent le cours d’une mer aux
reflets moirés, et tôt ou tard, arrive l’instant fatal où surgit des flots la dépouille du père disparu.
De ce marin endurci, chacun conserve ses propres images, souvent féroces et violentes parfois mythiques ou misérables, comme pour nous rappeler que s’il y a légalement autant de pères qu’il y a
d’enfants, chacun d’eux, au fond de lui, a plus d’un père à son tour.
Louise, Albin, Fanny, Jonas vont donc donner leur point de vue sur l’histoire qui les lie, réécrivant les scènes les plus canoniques comme autant de petites uchronies du panthéon familial. Les
voix se détachent, parfois s’effacent, laissant place à un récit unique où bruissent encore leurs timbres dissonants.
Dès le début, la perspective de se retrouver autour de la table commune ouvre dans la fratrie « un glissement insidieux du quotidien, l’infiltration du passé »; « ainsi,
pensaient-ils au jour du dîner, comme à travers un tunnel, une faille dans le temps qui les eût poussées à se ressouvenir ». Et le rituel du repas déclenche le retour immédiat du
refoulé.
Albin annonce alors sa séparation avec sa femme, Jonas affirme son homosexualité, Fanny sa rivalité avec sa mère.
L’histoire, qui se concentre sur une journée, « vingt-quatre heures de la vie » d’une famille, se déroule dans ce port du midi ouvert sur la mer comme sur une scène, où dès les
premières lueurs de l’aube le drame couve.
Proche de la chronique par l’envahissement du quotidien, notamment celui de la préparation du repas chez Louise, le roman est également construit comme un puzzle, chaque îlot de ces vies nous
éclairant partiellement et nous permettant le dévoilement de l’histoire.
Au-delà des péripéties, le lecteur pénètre plus profondément le « roman familial » (au sens psychanalytique du terme), devine comment d’une constellation initiale, celle du couple
Louise/Armand, se construit la posture de chacun, se perpétue le jeu factice des identifications : celle d'Albin à l’idéal paternel, Albin, coulé, bétonné à l’identique, celle détournée chez
Jonas, englouti par sa propre légende, l’ambivalence de Fanny, comment finalement chaque être façonne sa sexuation à partir de l’infime, de l’entrevu, dans l’entrebâillement sournois du
quotidien, en témoigne cette scène, décisive pour la suite, où Louise, sur la plage, vacille aux avances d’un inconnu, sous le regard en apparence distrait de ses enfants.
Fulgurance du sexe
Des années après, le fantasme conduit les corps automates loin de la plage, les fait s’égarer sur les sentiers des dunes, près des pins où les culs s’empoignent en silence.
Enfin, par une étrange prescience, le romancier nous permet d’éprouver presque physiquement comment le sujet répète les béances de l’histoire. Albin le découvre trop tard, surprenant la terreur
que ses fils nourrissent à son encontre en dépit d’une éducation résolument contraire à celle qu’il a reçue.
Et de son côté, comment Fanny pourrait-elle admettre que la mort de sa fille « réalise », ironie vengeresse, la peur d’une semblable perte chez Louise ?
Peu à peu, le récit va remonter la chaîne générationnelle, l'obscur labyrinthe des âmes, jusqu’à approcher de ce point dont le père, Armand, racontait que sur les montagnes de sel érigées au
siècle précédent il aveuglait de blancheur les passants incapables d’en soutenir le regard.
Oui, c’est sans doute ainsi que je m’étais imaginée présenter ce livre, brusquement déconcertée au moment de passer à l’acte, me disant que non, décidément, Le Sel n’était rien de tout ça, qu’un
tel récit ne saurait se réduire aux péripéties d’une histoire, à une galerie de personnages dont essentiellement nous touchent les perceptions à fleur de conscience, déroutée mais incapable
toutefois de restituer ce qui me restait à cet instant, rien de plus peut-être que le tempo de variations sur le désir, le sexe et la mort, des rêveries flottantes, des «îles de lumière» comme le
dit Virginia Woolf, ou encore le souvenir de ces phrases au milieu desquelles, le mot dégringolant toujours quand on ne l’attend pas, je demeurais soufflée, migrant dans cette langue écartelée et
belle, rêvant à ce jour lointain où, le titre prononcé au hasard d’une conversation, me reviendrait comme un écho de pur éclat, des cendres cristallines.
Magali Dellaporta
À propos du deuxième roman de Jean-Baptiste Del AmoLe Sel (Gallimard)
Le Club des inadaptés de Martin Page
L'École des loisirs
Martin, un enfant intelligent et plein d’humour, vit dans un monde méchant et moqueur. Il n’a que trois copains : Fred, qui se teint les cheveux en vert, Bakary le mathématicien et Erwan le
bricoleur. Les autres élèves n’acceptent pas leur différence et n’ont qu’une envie, « les tabasser » comme dit Martin, le narrateur.
Un jour, Erwan est victime d’une agression. En secret, le bricoleur décide alors de construire une machine censée rendre le monde plus juste.
Les quatre amis ne seraient plus les seuls à jouer de malchance, ils ne seraient plus les seuls à ne pas avoir de copine et à subir tous les tracas de l’existence. Mais Martin, Bakary et Fred ne
reconnaissent plus leur Erwan.
Ce roman est plein de gentillesse. Finalement, la bande de copains, qui n’ont jamais peur d’exprimer leurs émotions, ne résout pas ses problèmes par la violence. Les enfants apprennent à se
servir de l’écriture pour protester quand ils ne sont pas d’accord et à demander de l’aide au psychologue. Et même si Erwan semble vouloir user de la légitime défense, on découvre que c’est
plutôt pour impressionner ses amis qu’il a conçu la fameuse machine et non par méchanceté. L’humour et l’esprit assez cool de la bande font resurgir en chaque lecteur sensible le souvenir qu’il a
été lui aussi, un jour, membre d’un club des inadaptés.
Anselme McEvoy, décembre 2010
Anthropologie d'Éric Chauvier
Allia
Troublé par le regard d’une jeune fille rom, qui mendie auprès des automobilistes, un chercheur en sciences sociales cherche à la rencontrer. Mais elle disparaît. Comme dans un roman de
Modiano, il tente de l’identifier et de la retrouver….
La singularité de cette démarche déborde l’enquête et constitue un récit fragmenté, celui du regard que nous portons sur les exclus de notre société. La Nadja de Breton, Dora Bruder de Modiano
ainsi que l’ambiance de la nouvelle de Borges, Le Sud, traversent et colorent ce bref et talentueux texte d’Eric Chauvier.
Gislaine
Verre Cassé d’Alain Mabanckou
Sur l’avenue de L’Indépendance, qui traverse le peu recommandable quartier Trois-Cents, Le Crédit a voyagé, bar où se réunit le petit peuple congolais, résiste à l’épreuve du temps. Assis à l’une
des tables sous l’œil intéressé du patron, le buveur impénitent Verre Cassé consigne sur un cahier les faits mémorables des hommes et des femmes qui hantent les lieux. Mais la drôlerie de ces
héros farcesques au destin boiteux nous rappelle combien la vie est une voleuse de rêves que seule l’écriture ose défier.
Le roman comique des papas du bar du coin.
Verre Cassé, Escargot entêté, Zéro Faute, Robinette, L’Imprimeur : souvent, les personnages de Mabanckou reçoivent le baptême de ceux qui les côtoient et savent déceler sous l’identité officielle
le nom vrai, ce surnom qui leur va comme aux rois de la sape les souliers Weston et les costume Yves Saint-Laurent. Le nom donné, et reçu malgré soi, tient en sa magie le destin du malheureux
qu’il accable et qui ne trouve d’autre défense qu’une plaidoirie jamais achevée. L’homme est un être de parole et se révèle au contact des autres auxquels il faut raconter son histoire,
inlassablement, pour convaincre et se convaincre qu’on est en vie et que la lutte quotidienne contre le néant, c’est presque sûr, on va la gagner.
Le lieu le plus propice aux débauches mémorielles, est, au Congo comme partout, le bar du coin. Celui-ci porte un nom mystérieusement prudent : Le Crédit a voyagé. Là, le greffier attitré Verre
Cassé, investi par le patron lui-même de la mission sacrée de conserver la mémoire du bar, armé d’un couple de bouteilles et de son petit cahier, prête une oreille compatissante et parfois lasse
aux buveurs particuliers, soucieux de mettre les points sur les i de leur biographie.
Ainsi de l’homme aux Pampers, chassé par sa femme qui l’accuse pour s’en débarrasser et le condamne indirectement à porter pour le restant de ses jours quatre épaisseurs de couches puantes. Ou de
l’Imprimeur, marié et cocufié en France, qui rabâche jusqu’à la démence qu’il n’est pas fou. Ou de Verre Cassé, l’instituteur qui connaît tous les livres mais auquel l’administration ne confie
plus aucun élève ; ou encore de L’Escargot entêté, admirateur d’Alfred de Vigny, célibataire marié à son troquet, dont la coquille à la dureté de pierre résiste aux polémiques comme aux
machettes. D’autres silhouettes traversent le bar mythique : le silencieux Mouyéké aux fétiches supérieurement onéreux ; Casimir, bouffi d’orgueil, qui ose défier la puissante Robinette sur son
propre terrain. Sur l’autre rive de l’avenue de l’Indépendance, veille la Cantatrice chauve, nourricière des ventres et consolatrice des âmes : derrière sa marmite de poulet-bicyclette bien
pimenté, l’ancienne porte un regard maternel sur les papas ivrognes qui s’affalent à la terrasse d’en face.
Petites gens, petites vies, mauvaises fortunes. Mabanckou aime les célébrités locales, la grandeur dans l’infiniment bas, l’hybris du déshérité, le renversement des valeurs. Il n’y a qu’un pas de
la prison au bar, le paradis jouxte l’enfer et, dans la poussière des rues du quartier Rex, les prostituées flattent la clientèle comme elles peuvent tandis que rodent des criminels à l’ego
démesuré. Verre Cassé inscrit scrupuleusement les minutes du procès que les clients intentent aux femmes, à la justice, aux ministres, aux féticheurs, aux blancs, à tous les responsables de leur
gloire perdue et de leur crédit épuisé. Car, comme le rappelle L’Escargot entêté : ça fait longtemps que le crédit a voyagé et il ne reviendra pas.
Le monde en bouteille.
Mais il n’y a pas que le crédit qui voyage, et, entre les murs mal assurés du bar toujours ouvert, bruisse l’écho d’un monde polymorphe, grouillant de lieux étrangement communs, où la magie
manipule l’impitoyable réalité. Le Crédit a voyagé est le centre de l’univers autour duquel tourne un soleil sans pitié, attisant la soif de consommateurs à l’esprit vacillant dont le cœur blessé
étanche mal les larmes.
Les casiers à bouteilles entassés tels une cuirasse le long des parois crasseuses, résonnent des échos de la prison de Makala, du pont de Noirmoutier, de la traîtresse banlieue parisienne et de
l’arc de triomphe sur lequel la neige tombe parfois, des contrées africaines et leur passé colonial qui ne passe pas, de l’Amérique, nouveau miroir aux alouettes, de la rivière Tchinouka et ses
eaux grises dans lesquelles on se jette quand on a tant voyagé qu’il ne reste plus que l’autre monde à visiter. Nul besoin, donc, de quitter le quartier Trois-Cents et la terrasse du bar pour
voir du pays. L’exploration des Pays-Bas ne dépend que de la bonne volonté féminine et de l’habileté des danseurs, quant à la géographie, on l’apprendra sans peine dans les cartes que tracent sur
le sol les jets des compétiteurs des concours de pisse. Les voyages commencent et se terminent ici, au fond des bouteilles de rouge qui délivrent, contre quelques francs CFA, la cruelle vérité
qu’il n’y a pas de liberté sans combat ni verre cassé.
Les livres, comme le vin, emportent le voyageur immobile et le conduisent d’un coup de page sous tous les climats. Dans le récit du narrateur se bousculent les citations d’auteurs de tous pays et
de toutes époques, produits éparpillés de la sagesse mondiale. Les romans, les poèmes, les chansons et les films défilent, mêlés au discours du vieil homme qui n’a rien oublié des lectures
enthousiastes de sa jeunesse, avec les icônes raidies de leurs créateurs : Brassens, ses moustaches et sa pipe, Hitchcock et ses clins d’œil aux initiés, Hugo l’exilé et sa barbe de patriarche,
et la cohorte des écrivains alcooliques, morts ou en sursis. Verre Cassé, porteur de tous les livres écrits par d’autres, est une bibliothèque universelle et pas seulement le dépositaire d’une
culture orale traditionnelle dans laquelle on a pu cantonner le vieillard africain.
La magie noire de la polyphonie
Dans la description du matérialisme trivial de la vie en guenille bouillonne la magie du verbe libérateur. Sur son petit cahier, Verre Cassé n’écrit qu’une seule et longue phrase sans début ni
fin, où les virgules en nombre martèlent l’unité des expériences racontées. Un blanc marque la pause, matérialise l’ellipse, le changement de locuteur dont il faut rapporter le récit. Verre Cassé
laisse la parole à celui qui la veut et met lecteur à l’écoute des voix particulières qui se succèdent et se détachent comme de longs solos d’instruments divers sur la voix continue du narrateur.
Car, à travers les histoires des autres, c’est son propre destin que Verre Cassé cherche à élucider, hanté par le souvenir de sa mère et le mystère de sa mort. L’oralité du texte surgit d’une
écriture très rythmée où tous les mots sont permis. La polyphonie manipule le réel pour dompter les forces du mal qui, comme pour les enfants de L’Attrape-cœur, poussent chacun à tomber du haut
de la falaise dans la négation de ce qu’il est vraiment.
Verre Cassé est un roman sur l’amitié, celle qui unit le patron du bar et le vieil ivrogne au bord du gouffre mais aussi celle qui embrasse chaque client du Crédit a voyagé dans une
même sollicitude pour que quelque chose soit sauvé de l’Homme, cette poussière pas même au centre de l’Univers. L'obstination de Verre cassé se manifestera jusqu’au seuil du paradis : « si
quelques anges de mauvaise foi me racontent des salades là-haut pour m’empêcher d’y accéder par la grande porte, eh bien, crois-moi, j’y entrerai quand même par la fenêtre. »
Sophie Montant
Les Aubes écarlates : Sankofa cry de Léonora MianoPlon, 2009
« Sankofa cry » est un appel aux souvenirs proféré par les esprits des disparus sans sépulture.
Epa est adolescent quand il est enrôlé dans les troupes d’Isilo. Isilo rêve de rendre sa grandeur à une région située par l’imagination aux frontières du Cameroun.
Abruti par la faim, les crimes et l’alcool, Epa perçoit les ombres de morts sans sépultures qui réclament réparation pour des crimes du passé. Cette expérience l’incite à s’enfuir, et rechercher
l’aide afin de secourir les autres enfants soldats. Malade, il échoue chez Aïda, une européenne qui a transformé sa maison en centre de soins où il sera veillé par Ayané issue du même village que
lui.
Ce livre qui évoque la Traite, le colonialisme et ses suites, s’inscrit dans le mouvement « Melancolia Africana » rapidement exposée en postface. L’auteure de cette théorie, enseignante au sein
du Département d’études françaises d’une université au Rhodes Island (USA), expose comment les Noirs gèrent la perte, le deuil, la survie et les réactions des populations au contact avec la
modernité. En voulant offrir des points de repère cette réflexion pourrait permettre aux peuples d’Afrique équatoriale de rompre avec le discours de victimisation…
Un souffle puissant sert le récit de Léonora Miano né à Douala, au Cameroun.
Bibliographie :
• L’Intérieur de la nuit, 2005
• Contours du jour qui vient, 2006 (Prix Goncourt des lycéens)
• Tels des astres éteints, 2008
Gislaine Landas,
janvier 2010
Colum McCann, né à Dublin en 1965, vit aujourd’hui à New York. Ses romans et nouvelles traversées par la brutalité de l’exil et de l’exclusion, racontent le destin d’hommes et de femmes
vivant en Irlande ou aux Etats-Unis, avec leur lot de folie, de solitude et de deuil. L’écriture précise et éclairante fait apparaître avec force les abîmes de la marginalité.
Les Saisons de la nuit ; éditions Belfond, 1998 et 10/18, 2000 La voix des ombres
Deux récits d’abord parallèles vont se rejoindre et s’entrecroiser pour former le rude et lumineux portrait d’une famille d’ouvriers noirs américains. Tout commence en 1916 à New York où des
terrassiers creusent les tunnels du métro. Ils sont noirs comme Nathan Walker, venu de sa Georgie natale, Italiens, Polonais, Irlandais…Pendant les dures heures de travail sous le lit de l’East
River, une solidarité sans faille règne entre eux. Mais, à la surface, chacun garde ses distances, jusqu’au jour où un accident spectaculaire établit entre Walker et un de ses compagnons blancs
un lien qui va sceller le destin de leurs descendants sur trois générations.
Et que le vaste monde poursuive sa course folle ; Editions Belfond, 2009 Un ciel en chantier
Le 7 août 1974 le funambule français Philippe Petit s’amusa à traverser, à 412 mètres du sol, la distance qui séparait les Twin Towers. Autour de cette scène, l’auteur tend des fils entre
plusieurs personnages : le narrateur Ciaran qui ne comprend pas l'aspiration à la prêtrise de son frère Corrigan, Tillie, une prostituée qui crie son désespoir car elle n’a pas su protéger sa
fille et ses petits enfants, Claire, une bourgeoise, dont le fils n’est pas revenu de la guerre du Vietnam…
Gislaine Landas,
Décembre 2009
Le Vent de la lune d'Antonio Munoz MOLINA
Seuil, 2008
Le 20 juillet 1969, l’Homme a marché sur la Lune.
Entre le 16 et le 21, la mission spatiale Apollo XI est suivie, en direct, dans le monde entier. C’est aussi la durée du récit de Molina.
Antonio,13 ans, et sa famille vivent chichement dans un village andalou encore marqué par les souvenirs de la guerre civile. Le père est maraîcher et entend bien transmettre à son fils le goût du
travail de la terre. Mais Antonio préfère l’étude. C’est avec la passion de l’adolescence qu’il traque dans les magazines, la radio, sur les images tremblantes de la première télévision, les sons
et les images de l’exploit accompli.
La juxtaposition d’un monde à la pointe du progrès et d’un autre qui s’attarde, courbé sur une parcelle de terre donne à ce récit une dimension exaltante.
Gislaine Landas,
Novembre 2009
La Convocation de Herta Müller
Editions Métailié, 2009.
Laissez-vous surprendre !
Née en Roumanie, en 1953, Herta Müller est un écrivain de langue allemande.
Le point de départ du roman est la convocation de la Securitate que reçoit une jeune femme. Pendant le trajet en bus qui la conduit sur le lieu de l’interrogatoire, les principaux événements de
sa vie défilent par fragments dans sa tête. C’est un récit aux images fortes, images de la menace omniprésente, de la peur, de l’humiliation d’où émergent petit à petit les traits des
personnages.
Un style concis, un propos précis et un ton laconique caractérisent l’étonnante écriture d’Herta Müller.
Gislaine Landas,
Novembre 2009
Moi, Boy de Roald Dalh,
Traduction de Janine Hérisson
Illustrations de Quentin Blake
Gallimard Jeunesse, 1987.
L’auteur est né au Pays de Galles en 1916. Issu d’une famille norvégienne, Roald Dahl commence par faire un service militaire en tant qu’aviateur. Il a écrit plusieurs nouvelles pour les adultes
à ses débuts, puis pour les enfants à partir de 1960 dont Charlie et la Chocolaterie, Mathilda…
Cette autobiographie de Roald Dahl retrace son parcours scolaire jusqu’au lycée. Comme toute vie, la sienne mêle des moments graves (la mort de son père Harald, le nez arraché de Roald, le départ
à la pension) à des moments joyeux et même comiques (les paroles d’un docteur : le réglisse est fait à base de rats, on attrape de la ratite en le mangeant ; la vengeance des enfants : remplacer
le tabac du gendre par des crottes de chèvres.)
Dans ce livre, une chose est très plaisante : la simplicité avec laquelle l’auteur raconte son enfance. D’ailleurs Roald Dalh respecte toujours une règle : « écrire des histoires qu’on ne peut
pas lâcher, car si un enfant apprend très jeune à aimer les livres, il a un immense avantage dan la vie ». La rapidité avec laquelle on entre dans ses romans est fabuleuse.
Dans Moi, boy, on s’aperçoit que Roald Dalh ressemble beaucoup aux personnages de ses fictions, à tel point qu’on se demande s’il ne s’est pas pris pour modèle des héros de sa
quarantaine de romans.
Les magnifiques illustrations de Quentin Black qui accompagnent cette autobiographie comme presque tous les romans de Roald Dalh rendent joyeux et ajoutent encore à l’expressivité de la
lecture.
Etonnant et rythmé, ce livre va vous surprendre.
Anselme McEvoy,
mai 2009
Contes carnivores de Bernard Quiriny
Éditions du Seuil, 2008
Dans la catégorie « jeunes talents » voici Bernard Quiriny, né en Belgique en 1978. Journaliste à Chronic’Art, il vit alternativement dans la Nièvre et en Côte d’Or. Il a remporté le prix de la
Vocation, pour son premier recueil intitulé « L’Angoisse de la première phrase » paru en 2005 et en 2008 le Prix Rossel qui jouit d’un certain prestige en Belgique.
Les Contes carnivores sont composés de 14 courtes histoires, inquiétantes et délicieuses qui remettent à l’honneur le genre fantastique. Certains personnages sont dotés de fabuleuses
facultés. Une femme à la peau d’orange demande à être pelée…un homme perçoit les conversations qui le concernent même à grande distance… un évêque possède plusieurs corps qu’il habite tour à
tour… un botaniste est tellement passionné par ses plantes carnivores que la situation devient malsaine : « L’une des feuilles s’est alors élancée vers ma main et l’a mordue. Si je n’avais pas eu
le réflexe d’ôter mon bras, elle m’aurait arraché le poignet ».
Merveilleux, non ?
À la question « Comment est venue votre vocation d’écrivain ? »
Bernard Quiriny répond :
« Au départ, une poignée d’idées dont je me disais que, peut-être, elles pourraient donner lieu à de bonnes histoires, à la manière des écrivains que j’aime : dans des registres différents, mais
tous dans des formes brèves, Marcel Aymé, Borges, Casares, Cortazar… »
Gislaine Landas
décembre 2008
Le Roi de cœur de Hanna Kral
Traduit du polonais par Margot Carlier
Gallimard, 2008
Izolda ne doute pas. Recluse dans le ghetto de Varsovie en proie à une épidémie de typhus dévastatrice, elle sait ce qu’elle doit faire : protéger Shayek, son mari qu’elle vient d’épouser. Elle
le tire, avec leurs parents, du ghetto mais, raflé, Shayek devenu Wladek, est déporté à Auschwitz puis Mauthausen et Ebensee. Izolda, devenue Maria, n’a alors de cesse de le sauver, risquant sa
liberté et sa vie dans cette quête obsessionnelle et absolue de celui qu’elle aime. Cinquante ans plus tard, installée, seule, en Israël auprès de ses enfants, Izolda se découvre impuissante à
communiquer ce qu’elle voudrait si fortement transmettre à ses petites-filles, qui ne comprennent pas le polonais.
Alors que faire de la vie vécue quand, après la tourmente, l’objectif poursuivit avec fougue se dérobe malgré tout et que les mots prononcés manquent à dire ce que l’on porte en soi ? Un film
hollywoodien, se dit Izolda dont les proches vantent la ressemblance avec Elisabeth Taylor. Un pavé d’amour et de lutte pour la vie sur fond de guerre, lui conseille-t-on. C’est vrai qu’une
aventure comme la sienne, martèle Izolda, n’a rien de l’histoire rabâchée de la juive résignée, arrachée au ghetto, transportée vers les camps et la mort : « elle, c’est différent ». Mais le
best-seller espéré ne trouve pas d’auteur et les scènes poignantes de la vie d’Izolda, si romanesques avec ses rebondissements, ses sentiments et ses larmes, lui filent, comme l’amour de son
mari, entre les doigts.
Le Roi de cœur, dernier livre d’Hanna Krall publié en français, porte la mention générique, inhabituelle pour cet auteur, de roman. Pourtant, la fiction se nourrit d’une histoire vraie,
celle d’une femme pugnace et courageuse, profondément convaincue d’avoir à elle seule sauvé son mari de la mort et qui aimerait tant le faire savoir. De ce destin singulier, Hanna Krall fait un
roman dépouillé à l’extrême où chaque événement est relaté avec la minutie sobre d’un rapport de faits. L’écrivain laisse l’émotion naître de la lecture de courts chapitres qui se suivent comme
autant de cartes d’un jeu de tarot où se décide la vie ou la mort de ceux qui n’ont d’autres secours que de croire en ses révélations. Si son héroïne nous touche, c’est autant par les épreuves
terribles qu’elle traverse sans une plainte que par son obstination à n’accepter sa propre survie que parce qu’elle la juge nécessaire à ceux qu’elle aime. Mais, on le sait, l’amour est souvent
incompris.
Avec Le Roi de cœur, Hanna Krall nous montre qu’il est possible d’écrire un roman fort sur la souffrance des juifs polonais, déportés et assassinés par les nazis puis, pour les
survivants, exclus de la Pologne communiste, à la condition de maintenir l’écriture hors des facilités du pathos pour atteindre le cœur de l’expérience vécue : l’effort de déchiffrement d’un
monde qui, toujours, nous échappe.
Sophie Montant
novembre 2008
Et mon cœur transparent
de Véronique Ovaldé ,
Edition de l’Olivier, 2008
Biographie
Née en 1975, Véronique Ovaldé a vécu jusqu’à l’âge de 19 ans à Rosny-sous-bois, en Seine-Saint-Denis. Après le bac elle a passé un BTS
édition à l’école Estienne. Tout en travaillant elle poursuit des études littéraires par correspondance. Elle est actuellement chef de fabrication aux éditions Albin Michel après l’avoir été au
Seuil. Mère de deux enfants, elle habite à Paris.
Elle écrit le matin, de cinq à sept heures ainsi que le week end.
Auteur de cinq romans :
Toutes choses scintillantes, 2002
En général les hommes me plaisent beaucoup, 2003
Déloger l’animal, 2005
Et mon cœur transparent, 2008
Titre Et mon cœur transparent :
(p. 80 du roman) « l’air est limpide et mon coeur transparent » « et mon cœur transparent - fragment
d’un poème de Paul Verlaine « Mon rêve familier » beau poème sur la femme rêvée. Et mon cœur transparent » Avant le Et, il manque un quelque chose et c’est ce manque qui conduit le personnage à
partir une quête de la femme qu’il aime, qu’il a épousé mais qu’il semble ne pas avoir bien connue ! Car sait-on avec qui l’on vit ?
Résumé
Irina a été victime d’un accident qui l’a précipité au fond d’une rivière. Déjà ébranlé par sa mort, il va bientôt vivre un autre choc en
découvrant les mystères qui entourent cette disparition. Lancelot, c’est son nom, comprend que sa femme lui cachait beaucoup de choses, des amis aux noms bizarres, tout un passé sentimental et
militant. Lui mentait-elle ? Ce n’est pas le bon mot. Sans doute protégeait-elle leur amour, leur désir, car l’on sait que ni l’un ni l’autre ne vivent de transparence.
Mon avis
Voici roman singulier sur la détresse d’un homme amoureux, écrit avec simplicité et d’une grande force poétique, mêlant étrangeté et ironie. L’auteur, Véronique Ovaldé est sans doute la voix la
plus originale de la jeune littérature française contemporaine.
Gislaine Landas
septembre 2008
La Guerre d’Alan d'Emmanuel Guibert,
L'Association.
Une ligne creuse son chemin dans l’espace nu. Droite, elle interrompt soudain son élan vertical et c’est un poteau de signalisation. Horizontale, elle fuit à l’infini et, se multipliant, pose les
rails où glissent les lourdes locomotives encore à vapeur qui quittent les parcs à fret de Chicago. Courbe, elle insinue le hasard des aiguillages dans le réseau rectiligne des voies à travers
lesquelles se lancent, affamés, un groupe de soldats à la recherche d’une épicerie. Quand ils reviennent, chargés de paper bags pleins de provisions, leur wagon a disparu.
L’encre donne à la ligne la netteté que veut la main. Mais le désir d’un tremblé moins impérieux confère aux objets nés de la ligne la vie que l’homme ne peut s’empêcher d’insuffler à ce qu’il
manipule : les barreaux d’un lit, le cadre d’une fenêtre ou, sombre, trapu, étonnement léger pourtant dans la lumière du papier qu’érode l’ombre sépia, un char. Pour Alan Ingram Cope, le premier
véhicule à moteur qu’il saura conduire.
Soldat à dix-huit ans parce que les Etats-Unis d’Amérique, ébranlés par Pearl Harbor, lui commandent de tout laisser là et d’endosser un uniforme, Cope raconte, plus de soixante années après, sa
guerre contre Adolf. Entre le jeune appelé californien et le vieil homme aux souvenirs précis, Guibert le dessinateur trace les lignes de jonction et marque l’empreinte d’une mémoire concentrée
sur l’essentiel : les détails. Poids des paquetages et des jerrycans, promiscuité de caserne, errements des colis, accidents dangereux lors des entraînements, contenu des rations, La
Guerre d’Alanrecrée le parcours d’un jeune homme plongé subitement dans un univers où tout est nouveau et qu’il doit apprendre à déchiffrer. Alan, d’ailleurs, se montre d’emblée
singulièrement apte au décodage.
Aussi ne faut-il rien chercher de spectaculaire ni d’héroïque au fil des planches d’Emmanuel Guibert. C’est la vie au plus près de l’expérience quotidienne qui est rappelée avec, au cœur de
l’aventure, la révélation des rencontres. La Guerre d’Alan est aussi, et peut-être avant tout, un récit d’apprentissage où la découverte de soi-même passe par la découverte
d’autrui. Les compagnons de hasard et leur diversité d’origine, de caractère, de milieu social ou d’inclination, laissent dans la mémoire d’Alan une trace aussi durable que le dévoilement inopiné
du goût de la musique classique, empreinte d’autant plus tenace que le destin de chacun, ami ou pas, est entre les mains de volontés quelque fois invisibles, souvent imprévisibles mais toujours
absolues. L’autre, c’est encore la femme, l’enfant, l’homme ou même le chien croisé sur la route, face auquel il faut inventer les gestes et la langue qui sauront tisser un lien ténu mais
vital.
La voix-off du vétéran retrace au passé ses années de préparation militaire entre 1943 et 1945 (tome 1), son débarquement en France et sa traversée de l’Allemagne jusqu’en Tchécoslovaquie (tome
2), en une langue simple qui ne cherche d’autre effet que l’évidence du vrai. Les vignettes montrent les souvenirs au présent, même si le graphisme et les effets de matière, le jeu des contrastes
de lumière et d’ombre, prêtent à certaines images la présence d’anciennes photographies sur lesquelles des silhouettes sombres rongées par le temps subsistent comme suspendues dans un décor
évanoui. Ce que les dessins construisent, malgré le souci d’exactitude, n’est pas un documentaire historique. Vérité vécue, vérité remémorée, vérité imaginée autour des mots, se croisent et se
combinent pour fondre la vérité d’une parole qui refuse l’interprétation. L’absurdité de la guerre ne se démontre pas, elle se crie.
Sophie Montant
Avril 2008
De la bêtise.
de Robert MUSIL
Traduit de l’allemand par Philippe Jaccottet
ALLIA, 2000.
Prononcée en 1937, à la veille de l'Anschluss, cette conférence de l’auteur autrichien, qui verra ses livres interdits par les nazis, n’a rien d’improvisée. Musil réfléchissait sur le sujet
depuis au moins deux ans et considérera De la bêtise comme un élément à part entière de son œuvre, au même titre que Törless ou L’Homme sans qualités. Dans ce texte court et dense, où l’exigence
de la pensée est aussi une exigence d’humour, Musil découvre dans la bêtise non seulement une donnée inhérente à la vie même, la bêtise se révélant si intimement liée à l’intelligence qu’il est
possible d’affirmer que « chaque intelligence a sa bêtise », mais aussi un concept autant insaisissable qu’indispensable, permettant d’articuler critique sociale et critique esthétique.
S’il reconnaît qu’il ne peut définir la bêtise, le concept se montrant étonnamment labile et le mot presque ininterprétable hors contexte, c’est en décryptant des situations exemplaires de cette
forme d’imprécation que Musil dévoile les rapports de la bêtise à l’affect. Car c’est d’avantage les ressorts de nos accusations de bêtise que les caractéristiques de ce que nous qualifions de «
bête » qui intéressent Musil. Loin de se restreindre à la dénonciation d’un manque d’intelligence, comme le prouve le large éventail des concepts liés à celui de bêtise, de la veulerie à la
vanité en passant par l’inconvenance ou la vulgarité, l’imputation de bêtise portée sur autrui se révèle être un jugement de refus, une fin de non recevoir à « tout ce qui ne nous convient pas ».
L’imprécision du nom « bêtise » ou du qualificatif « bête » permet d’établir un rapport d’analogie entre ces insultes et l’utilisation de la grenade ou du tir dispersé par les combattants en état
de panique. Devant ce qui lui échappe, l’individu « abdique », se montre incapable d’un jugement raisonné et, notamment quand sa voix s’autorise de celle de la masse, réplique affectivement, à
l’arme lourde : « trop bête ! ».
L’écrivain entretien des rapports que Musil qualifie de « collégiaux » avec la bêtise. Délégué pour ressasser dans ses livres, au nom de l’humanité, tout ce qu’elle a de plus mesquin, soumis au
jugement stérilisant des intelligences supérieures promptes à jeter au orties les volumes qu’elles taxent de bêtises, atteint lui aussi, comme nous tous, de bêtise au moins intermittente,
l’écrivain doit intégrer dans son travail cette conscience vive de ses propres limites et adopter une « fière humilité du jugement et de l’action ». Aujourd’hui où le « trop compliqué » s’est
substitué au « trop bête » dans la mise au ban des efforts vrais de compréhension du monde, la vigilance reste plus que jamais d’actualité et le refus de l’abdication de l’esprit devient
vital.
« Aux époques d’insécurité personnelle, la ruse, la force, l’acuité des sens et l’adresse physique imprégneront le concept d’intelligence », affirmait Musil, qui nous laisse le soin de
cerner les formes de notre bêtise contemporaine et d’y faire face.
Sophie Montant
Décembre 2007
DIKHIL
de Joël Alessandra,
Editions Paquet.
Aimer et taire que l’on aime, rester fils et refuser de devenir père, fuir. Un village somalien loin de tout et de tous, c’est le désert qui s’impose à Paolo le romain.
Paolo le peintre s’adonne à l’abstraction à l’abri du silence de son atelier, sous le regard interrogateur d’Anna qui aspire à voir apparaître un jour, sur les toiles de celui qu’elle aime, une
figure humaine. Un enfant demandé, que Paolo n’accepte ni ne refuse, un père rivé sur son lit d’hôpital, que Paolo visite en coup de vent – il a des trucs à faire -, un carnet à croquis laissé en
guise d’adieu et voici Dikhil que traversent, sous la lumière crue d’un soleil permanent, les chameliers et les femmes enveloppées de voiles au regard profond, lieu du refuge contre la vie qui se
révèle aussi lieu du passage tant redouté à l’âge d’homme. Entre une bouteille de whisky et une botte de khat, Paolo tente l’impossible oubli d’Anna de laquelle le corps dénudé envahit maintenant
les grands formats de l’artiste. Mais la solitude africaine de Paolo n’est qu’un refuge précaire. Quelqu’un le suit, et lui en veut.
Ombres et lumières alternent dans cet album où la couleur vient surprendre la bichromie ocre ou grise bleutée sur blanc et qui préserve la qualité graphique d’un carnet de croquis. Les dernières
pages dévoilent ce que le lecteur pressentait, l’ancrage autobiographique d’un récit dont la sincérité confère toute sa grandeur à l’émouvant personnage de Paolo en lutte contre sa propre
lâcheté, qui va apprendre à accepter la vie telle qu’elle est, et à l’aimer.
Sophie Montant
Septembre 2007
Au nom de la mère
d'Erri de LUCA,
Editions Gallimard.
LE Nom : c'est Miriam/Marie. Un trait d'union entre deux langues. En hébreu, où il existe deux "m", le premier de Miriam a une ouverture en bas, une calligraphie un peu gonflée ; c'est une
consonne enceinte. Marie est la transcription hébraïque et néotestamentaire. Mère éternelle. Marie/Myriam, "au nom de la mère". La genèse de l'histoire de Marie/Myriam se situe dans les
évangiles, plus particulièrement chez Matthieu et Luc. Une fois expurgé l'épisode des Mages, purement ornemental pour Erri de Luca, les textes bibliques tiennent en quelques lignes. Un seul motif
, un détail fournit le prétexte du livre : la maternité dans le corps féminin. " Comme tout le monde, j'ai grandi au centre du corps dans une mère. Je peux donc m'attribuer une compétence".
Pourquoi cette réécriture, cette réappropriation de la nativité prend-elle une telle valeur poétique? Tout d'abord, le personnage. Elle parle au plus réel. Elle semble hors mythe, décalée, déliée
de l'illusion mimétique. Si grâce il y a, c'est celle d'une très jeune fille, éperdue d'amour, de ferme amour, violente et sage, pas très au fait de l'histoire sainte, qui se souvient à peine de
ce qui lui est arrivé. "Essaie de te souvenir, Myriam", supplie Joseph. Marie ne répond pas. Marie pleine de grâce. Marie parle en son nom. Elle raconte. Disons plutôt qu'elle témoigne. Elle
livre une expérience personnelle. D'où un effet de présence. "Jamais sans Joseph ; jamais sans mon fils. Elle a besoin de parler, Marie. Peut-être parce que la grossesse chez la femme modifie les
saveurs, chez elle le goût des mots. Ce doit être l'enfant qui me l'apprend, lui qui s'est planté en moi par une annonce, par les mots d'une bénédiction". Il y a une sorte de renversement. C'est
Joseph qui célèbre l'élégie de la figure mariale. Dans le christianisme, la maternité de Marie est effacée au profit de la figure de la consolatrice et de l'intermédiaire. Au contraire De Luca
restreint, zoome sur la topique de la grossesse et ce faisant amplifie le rayonnement marial. Une narration en quatre tableaux. Quatre stances. Un cheminement de Na Zareth à Bet Lehem dont les
étapes précises créent un effet de réel. Un itinéraire géographique, narratif, symbolique qui conduit Marie certes à la partition, la division irréversible de un en deux, mais aussi à la
reconnaissance d'une paternité. Neuf mois sont condensés en stances, strophes d'un poème, mais aussi au sens étymologique, comme les "séjours" de l'enfant dans la contrée maternelle. Parmi ces
étapes le miracle est là où on ne l'attend pas. Pas dans l'annonciation. Les enfants le savent bien. La petite graine est volage, volatile. Un jour on se lève pour fermer les volets, on est
couverte de poussière céleste au point de fermer les yeux. Tout est raconté : les métamorphoses d'un corps, son surprenant remue-ménage, l'adresse au petit être comme à un autre soi-même, le bébé
qui danse, cabriole dans le ventre, et puis les eaux qui s'ouvrent et la course éperdue de Joseph pour trouver un logement, le souffle qui s'égare, les contractions, tantôt debout, tantôt contre
la mangeoire, tout cela seule. Il n'y a pas de sage-femme dans la crèche. C'est Marie qui expérimente les gestes de la sagesse. Passage merveilleux que ce moment à deux, après la venue au monde,
la bienvenue des bêtes, où Marie reste avec son fils, puis appelle Joseph : "Entre Joseph, celui-ci est maintenant ton fils".
Magali D.
mars 2007
L’Elue
de Lois Lowry,
Editions Gallimard.
Dans un monde ancien, Kira, jeune fille boiteuse, vient de perdre sa mère. Après avoir veillé la défunte plusieurs jours à l’extérieur du village, comme l’exige la tradition, elle rentre chez
elle. Privée de la protection de sa mère, elle se retrouve rapidement à la merci des villageoises : infirme, elle n’est qu’une bouche inutile à nourrir et le terrain qu’elle possède est largement
convoité. Elle devra son salut à ses talents de brodeuse repérés par “le Conseil des seigneurs” qui va mettre à sa disposition le nécessaire pour étudier et exercer son art dans des conditions
optimums. Le confort de cette nouvelle situation ne dissimulera pas pour autant aux yeux de Kira les dysfonctionnements qui entachent la société à laquelle elle appartient désormais.
À mi-chemin entre le conte philosophique et le “fantaisy”,L’Élue se présente comme une quête initiatique. Aventure, mystère mais aussi gravité – thèmes chers à Lois Lowry – entraînent
le lecteur dans un roman captivant. À lire également, du même auteur, Messager (où l’on retrouve les personnages de L’Élue) et Le Passeur.
Clarisse Combes
octobre 2006
La Bergère qui mangeait ses Moutons
d’Alexis Lecaye et Nadja,
L'Ecole des Loisirs.
Pourquoi faudrait-il toujours que la bergère soit consciencieuse au possible, délicate en diable, baissant les yeux dès qu’on lui adresse la parole ?... Alexis Lecaye et sa sœur, Nadja, prennent
le contre-pied de cette image d’Épinal. La bergère de leur histoire a de grosses nattes blondes, de grosses fesses et de gros mollets. Et avant toute chose, elle mange ses moutons ! Tous les
matins, elle en choisit un bien dodu et le passe à la casserole. Un véritable casse-tête pour le troupeau : dans la journée, les gourmands n’osent plus brouter tranquillement l’herbe délicieuse
des prés car ce serait prendre le risque de grossir… et de se faire dévorer par la bergère. Qui donc aidera les moutons à se débarrasser de cette ogresse ?...
Parodie, humour, illustrations décapantes… dans ce “classique” de l’école des loisirs, Alexis Lecaye n’a pas hésité à bousculer les archétypes récurrents des contes traditionnels. Un roman très
second degré à dévorer de toute urgence !
Clarisse COMBES
octobre 2006
Malika Ferdjoukh
Trop difficile pour moi de trancher entre trois des ouvrages de Malika Ferdjoukh (et quand je dis trois, je mens effrontément ; parmi eux figure en effet une tétralogie). Pour ne pas avoir à
faire de choix douloureux, j’ai imaginé cette rubrique “mon auteur coup de cœur” ! Car comment préférer Sombres citrouilles à la série “Quatre sœurs” ou àFais-moi
peur ?... Malika Ferdjoukh est pour moi passée maître en l’art du contraste ; elle sait à merveille aborder des thèmes forts et complexes tout en les replaçant dans des contextes
extrêmement quotidiens, des situations familières. La différence, la violence, le racisme, l’acceptation d’autrui, le secret comptent ainsi parmi les sujets que l’on retrouve tout au long de sa
bibliographie. Sujets traités avec tact, humour, et toujours avec le souci de les rendre abordables aux lecteurs auxquels l’auteur s’adresse. Malika Ferdjoukh, c’est aussi un style limpide
réhaussé de dialogues vifs et percutants… pas surprenant pour une amoureuse de cinéma.
Mon choix (médium, école des loisirs) : Fais-moi peur(thriller captivant et truffé d’humour), Sombres citrouilles (une enquête, des secrets de famille et une chute
bien pensée) et la série “Quatre sœurs” – Enid, Hortense, Bettina et Geneviève (l’histoire, comme le nom de la série ne l’indique pas, de cinq sœurs livrées à elles-mêmes
après la disparition de leurs parents).
Clarisse COMBES
octobre 2006
De nulle part
de Louis Atangana,
Editions du Rouergue.
Empalot, quartier sud de Toulouse. De son père, Vincent Ntuygwentondo n’aura gardé que le nom et la couleur de peau. Si ses copains de la cité savent, eux, d’où ils viennent, le mystère reste
entier pour le jeune garçon élevé par une grand-mère – blanche – qui s’obstine à lui cacher ses origines…
Dans son premier roman, Louis Atangana n’épargne rien au lecteur : grossièretés, bagarres, violence… Un pari risqué mais réussi : l’auteur s’est voulu réaliste, proche de son sujet et il y
parvient plutôt bien, le style concis et direct participant à cet effet. Un roman touchant, parfois dur, qui se pose, sur fond de secret de famille, en véritable plongée dans la vie des cités.
Clichées ou pas, l’histoire de Vincent permet de replacer les grandes questions liées aujourd’hui aux banlieues : difficulté d'intégration, ennui, violence, racisme, chômage…
Clarisse Combes
octobre 2006
Lettres d'amour de 0 à 10
de Susie Morgenstern,
L'Ecole des Loisirs.
Comment est-ce possible ? Comment a-t-on pu sortir ce petit bijou sous un titre aussi tarte ?... J’avoue : c’est la raison pour laquelle j’ai mis tant de temps à de me décider…
Grossière erreur ! Car en quelques pages, il est impossible de ne pas tomber sous le charme d’Ernest, petit bonhomme de dix ans, qui vit seul avec Précieuse, sa grand-mère, aimante mais
taciturne. Leur univers ? Calme, soupers silencieux, pas de télévision ni de téléphone, solitude, et surtout, pas de confidence… Jusqu’à ce que deux événements viennent bouleverser profondément
la vie du garçon : l’arrivée de Victoire, une nouvelle élève, flanquée d’une famille plus que nombreuse, et dotée d’un don absolu pour le bavardage, le jeu, ou n’importe quelle autre folie, comme
quand elle fait apparaître le père, disparu à la mort de la mère d’Ernest.
Les Lettres d’amour de 0 à 10 ans sont aussi touchantes qu’intelligentes. Une écriture limpide, une intrigue prenante… un livre à recommander à des lecteurs de tout âge, y compris aux plus jeunes
ayant des difficultés de lecture. Pas étonnant donc que cet ouvrage ait été sélectionné par le ministère de l'Éducation nationale et qu’il ait reçu, entre autres, le prix Totem, le prix Goya
découverte, le prix « 1000 Jeunes Lecteurs » 1997, le prix Charlemagne, le prix Chronos, le prix « Lire au collège », le prix Graine de lecteurs, Prix Tatoulu, Prix Boekenwelp, Prix Versèle, Prix
mille jeunes lecteurs, Prix Premier Amour, Margaret Batcheldor Honor Book Award (pour la traduction aux États-Unis).
Clarisse COMBES
Octobre 2006