Lors de chaque rencontre l'auteur, le public et les FDL présentent leurs "coups de cœur".
Retrouvez dans cette rubrique les chroniques des livres présentés lors de ces soirées.
Les Coups de cœur
présentés lors de la rencontre avec Nancy Huston
Nancy Huston
Lewis Caroll, Alice aux pays des merveilles
Lyman Frank Baum, Le Magicien d’Oz
Nikos Kokantzis, Gioconda, Éditions de l’Aube, 2014.
Le coup de cœur inattendu de Nancy Huston. Nìkos, un adolescent, et Gioconda, une jeune fille juive, s'aiment d'un amour absolu jusqu'à la déportation de celle-ci à Auschwitz, en 1943. Si le fond de l’histoire est sombre, les pages concernant le récit de l’initiation amoureuse vibrent de sensualité.
Isabelle
Ludmila Oulitskaïa, Le Chapiteau vert, Gallimard, 2016.
Dans une trentaine d’épisodes bien ciselés et fertiles en surprises qui nous dévoilent l’intimité de la société, ce roman polyphonique explore les complexités de l’Union soviétique de la mort de Staline à l’effondrement du communisme. Isabelle de rajouter : « Roman typiquement russe où même les personnages secondaires sont passionnants. C’est le gage d’un bon roman. »
Clarisse
Guy Delisle, S’enfuir. Récit d’un otage, Dargaud, 2016.
En 1997, alors qu'il est responsable d'une ONG médicale dans le Caucase, Christophe André a vu sa vie basculer du jour au lendemain après avoir été enlevé en pleine nuit et emmené, cagoule sur la tête, vers une destination inconnue. Guy Delisle l'a rencontré des années plus tard et a recueilli le récit de sa captivité – un enfer qui a duré 111 jours. Que peut-il se passer dans la tête d'un otage lorsque tout espoir de libération semble évanoui ?
Mia Couto, Tombe, tombe au fond de l’eau, Éditions Chandeigne, 2005.
Retrouvé par hasard au fond de son sac, Clarisse nous remémore une belle rencontre avec Les Filles du loir autour de ce magnifique livre de Mia Couto. Au Mozambique, au bord de l’océan indien : Zeca Perpétuo, un ancien pêcheur, n’a d’yeux que pour sa voisine, Dona Luarmina qui passe le plus clair de son temps à effeuiller des fleurs invisibles. Leurs rencontres, à la fois cocasses et poignantes empruntent souvent des voies étranges. Ils en viennent à délivrer de lourds secrets. Iront-ils jusqu’au bout de leur dialogue alors que leur existence, déjà précaire, sombre inexorablement ?
Gabrielle
Reinhard Jirgl, Le Silence, Éditions Quidam Editeur, 2016.
Le Silence est le troisième roman traduit en français d’un auteur allemand incontournable, Reihnardt Jirgl. Le roman retrace l’histoire de deux lignées familiales, qui traversent tout le XXème siècle allemand. Dans une polyphonie remarquablement maîtrisée, et une langue iconoclaste, les histoires ressurgissent, gravitent autour d’un lieu fictif Thalov, dont les hommes infâmes sont expropriés par le régime nazi, puis par le régime communiste, et ensuite par le régime démocratique, expropriation contre laquelle il faut se battre sans relâche. Jirgl fait surgir des voix qui ne se répondent jamais véritablement, mais qui emportent le lecteur dans un flux de narration bouleversant, le conduisant à établir lui-même des liens entre les personnages, les événements, et les désastres de l’Histoire, à mettre au jour, tel un archéologue, ces secrets qui sapent inlassablement l’édifice familial.
Les Coups de cœur
Rentrée 2016 des Filles du loir
Isabelle
Florence Seyvos, La Sainte Famille, L'Olivier, 2016
Deux enfants, Susanne et Thomas. Une maison aux portes closes. Parmi les adultes qui les entourent, une mère autoritaire, un oncle faible et pervers, et – plus tard – un maître d’école sadique sont les figures d’une inquiétante toute-puissance. Seule Odette, qui est presque une simple d’esprit – ou une sainte? – se préoccupe vraiment d’eux. Et puis il y a Mathilde, la cousine tyrannique qui ment tout le temps et, pourtant, dit la vérité. «Que me manque-t-il? », se demande Suzanne.
Richard Wagamese, Les étoiles s'éteignent à l'aube, Zoé, 2016
Lorsque Franklin Starlight, âgé de seize ans, est appelé au chevet de son père Eldon, il découvre un homme détruit par des années d’alcoolisme. Eldon sent sa fin proche et demande à son fils de l’accompagner jusqu’à la montagne pour y être enterré comme un guerrier. S’ensuit un rude voyage à travers l’arrière-pays magnifique et sauvage de la Colombie britannique, mais aussi un saisissant périple à la rencontre du passé et des origines indiennes des deux hommes. Eldon raconte à Frank les moments sombres de sa vie aussi bien que les périodes de joie et d’espoir, et lui parle des sacrifices qu’il a concédés au nom de l’amour. Il fait ainsi découvrir à son fils un monde que le garçon n’avait jamais vu, une histoire qu’il n’avait jamais entendue.
Maj Sjowall et Per Wahloo, Les Terroristes, Payot, Rivages
Maj Sjöwall et Per Wahlöö, ont écrit, entre 1965 et 1975, une série de dix romans mettant en scène l’enquêteur Martin Beck et son équipe. Cette œuvre, influencée par Ed Mcbain, et qui a marqué de son empreinte la littérature policière occidentale, est republiée dans des traductions entièrement revues à partir de l’original suédois.
Stéphanie
Jeff VanderMeer, Annihilation, Au diable vauvert, 2016
La Zone X, mystérieuse, mortelle. Et en expansion. Onze expéditions soldées par des suicides, meurtres, cancers foudroyants et troubles mentaux. Douzième expédition. Quatre femmes. Quatre scientifiques seules dans une nature sauvage. Leur but : ne pas se laisser contaminer, survivre et cartographier la Zone X.
Alain Damasio, La Horde du contrevent, La Volte, 2014
Imaginez une Terre poncée, avec en son centre une bande de cinq mille kilomètres de large et sur ses franges un miroir de glace à peine rayable, inhabité. Imaginez qu’un vent féroce en rince la surface. Que les villages qui s’y sont accrochés, avec leurs maisons en goutte d’eau, les chars à voile qui la strient, les airpailleurs debout en plein flot, tous résistent. Imaginez qu’en Extrême-Aval ait été formé un bloc d’élite d’une vingtaine d’enfants aptes à remonter au cran, rafale en gueule, leur vie durant, le vent jusqu’à sa source, à ce jour jamais atteinte : l’Extrême-Amont. Mon nom est Sov Strochnis, scribe. Mon nom est Caracole le troubadour et Oroshi Melicerte, aéromaître. Je m’appelle aussi Golgoth, traceur de la Horde, Arval l’éclaireur et parfois même Larco lorsque je braconne l’azur à la cage volante. Ensemble, nous formons la Horde du Contrevent. Il en a existé trente-trois en huit siècles, toutes infructueuses. Je vous parle au nom de la trente-quatrième : sans doute l’ultime.
Maurice Mourier, Par une forêt obscure, Éditions de L'Ogre, 2016
Quelque part à la campagne en France, un enfant vit avec sa grand-mère. C’est la guerre. La seconde. Un homme, un « cousin », vit en secret dans la resserre. De la guerre, on ne parlera pas, ou très peu. Elle est là, c’est tout, comme un bruit de fond. On parlera en revanche du quotidien de cet enfant, de ses rapports à la nature, aux lieux et aux animaux, de la relation d’amitié quasiment silencieuse qu’il nouera avec ce « cousin », et, surtout, du personnage de la grand-mère, une pied-noir immigrée à Paris au franc parler et au courage exemplaire qui plane sur tout le roman en y infusant sa lumière. C’est un ange qui, grâce à ses récits et sa langue métissée (mélange de patois des campagnes françaises, d’arabe et d’argot parisien) réussit à enchanter le monde et en faire un lieu d’accueil.
Magali
Yves Bonnefoy, L'Écharpe rouge, Mercure de France, 2016
Lorsque Yves Bonnefoy retrouve par hasard un poème d’une centaine de vers libres jamais publié intitulé « L’écharpe rouge », et qui aurait été une « idée de récit », le voilà devant un mystère : quelle était donc ce récit jamais advenu ? Dans le poème sont évoqués des noms de lieux, des événements : mais à quoi faisaient-ils référence ?
C’est donc à un voyage dans le temps que nous invite le poète. Dans son propre texte, il part à la recherche de signes, se fait archéologue de son propre poème. L’auteur se dédouble, devient son propre exégète, décryptant les strates successives qui ont participé à la genèse de son texte. Et, partant de toute son œuvre.
Jean-Yves
Jean-Paul Kauffmann, Outre-terre, Éditions des Équateurs, 2016
Eylau, c'est la rencontre paroxystique de l'Histoire et de la géographie. Une bataille napoléonienne qui a lieu le 8 février 1807 contre les Russes, en Prusse orientale, là où se trouvait autrefois la célèbre Königsberg fondée par les chevaliers teutoniques. Aujourd'hui Eylau est située dans l'enclave de Kaliningrad, territoire russe séparé de la Russie par la Pologne et la Lituanie.
Jean-Paul Kauffmann qui s'était rendu une première fois à Kaliningrad en 1991 voulait y revenir mais, cette fois, en famille. Un voyage de cohésion familiale en quelque sorte.
Eylau est une bataille à part dans les faits d'armes napoléoniens. Une victoire à la Pyrrhus, à l'arrachée, dont Napoléon n'aimait pas évoquer le souvenir quand il fut exilé à Ste-Hélène. Une bataille particulièrement meurtrière qui se déroula dans le brouillard, l'obscurité, sous la neige.
Eylau est restée célèbre dans l'histoire pour la fameuse cavalerie de Murat mais aussi dans la littérature grâce au Colonel Chabert de Balzac. Le colonel Chabert que l'on donnait mort est un fantôme d'Eylau. Quand il revient en France, il doit prouver son identité pour recouvrer son territoire, sa femme, ses droits. C'est l'un des romans les plus captivants de Balzac. Une sorte de roman noir sur le mariage.
Honoré de Balzac, Le Colonel Chabert, 1844
L’histoire commence dans une étude d’avoué où six clercs font des plaisanteries pendant qu’ils travaillent. Puis arrive un vieil homme : tous se moquent de lui, car il porte des vêtements très anciens. Le vieil homme dit qu’il doit parler avec le patron de l'étude, Maître Derville. Les clercs lui disent que Maître Derville ne voit ses clients qu’à minuit. En réponse à la question d'un saute-ruisseau, le vieil homme, avant de sortir, déclare être le Colonel Chabert, mort à la bataille d’Eylau. Le Colonel Chabert revient la nuit au bureau de Me. Derville, et l’avoué lui accorde une entrevue. Chabert raconte alors son histoire.
Clarisse
Manuele Fior, Cinq mille kilomètres par seconde, Atrabile, 2010
L’histoire d’amour entre Piero et Lucia, que l’on retrouve à différents moments de leur vie dans Cinq mille kilomètres par seconde, se présente comme le portrait d’une génération; celle qui, instable et sans repère, se trouve aujourd’hui dans la trentaine. Séduite par des milliers de modèles de vie possibles, elle ne sait en trouver un qui lui convienne. En le cherchant, elle s’aventure dans le monde, emprunte des nouveaux chemins, et s’égare. L’amour, idéalisé par l’éloignement, trompé par l’illusion de moyens de communication de plus en plus rapides, se transforme, s’épuise, et révèle alors la cruauté de son visage.
Thomas Cadène, Les autres gens #01, Dupuis
Les Autres Gens est une bédénovela créée par Thomas Cadène, publiée quotidiennement sur internet du lundi au vendredi, entre le 1er mars 2010 et juin 2012. Sur un scénario de Thomas Cadène et parfois de Wandrille Leroy ou Joseph Safieddine, plus de 100 dessinateurs se sont relayés pour signer chaque épisode journalier.
Revue TOPO, 2016
TOPO est une revue d’actualité en bande dessinée pour les moins de 20 ans.
Sous forme de grands reportages, de chroniques ou de vulgarisation scientifique, en inscrivant les informations dans une continuité historique, TOPO décrypte le monde contemporain.
TOPO a quatre objectifs :
• Raconter l’actualité en contextualisant systématiquement les informations.
• Redonner une profondeur historique aux faits culturels et sociétaux.
• Aider le lecteur à développer un sens critique et citoyen en lui donnant les outils nécessaires pour devenir un acteur du monde.
• Apprendre à lire les images en général et le dessin en particulier
Sabine
Antonio Lobo Antunes, Le Cul de Judas, Métailié, 1983
A Lisbonne, une nuit dans un bar, un homme parle à une femme. Ils boivent et l’homme raconte un cauchemar horrible et destructeur : son séjour comme médecin en Angola, au fond de ce "cul de Judas", trou pourri, cerné par une guerre sale et oubliée du monde.
Extraordinaire par l’originalité de sa forme, la force et la poésie de sa langue, l’acuité de son intelligence.
Sébastien
Katherine Dunn, Amour monstre, Gallmeister, 2016
La joyeuse famille Binewski est tout sauf banale. Ivres d’amour et nourrissant de grands projets pour leur spectacle itinérant, Al et Lil décident d’engendrer à coup d’amphétamines et de radiations la plus belle brochette de phénomènes de foire au monde. Alors, bienvenue chez les monstres : il y a Arturo l’Aquaboy, doté de nageoires et d’une ambition digne de Genghis Khan; Iphy et Elly, sœurs siamoises et musiciennes talentueuses; Oly, naine bossue et albinos. Seul détonne l'étonnamment normal Chick… jusqu’à ce qu’il révèle des qualités bien particulières. Pour autant, cette famille est habitée de passions bien humaines, et une terrible rivalité entre frères et sœurs ne tarde pas à menacer le bonheur des Binewski.
Samia
Elena Ferrante, L'Amie prodigieuse, Gallimard, 2014
Elena et Lila vivent dans un quartier pauvre de Naples à la fin des années cinquante. Bien qu’elles soient douées pour les études, ce n’est pas la voie qui leur est promise. Lila abandonne l’école pour travailler dans l’échoppe de cordonnier de son père. Elena, soutenue par son institutrice, ira au collège puis au lycée. Les chemins des deux amies se croisent et s’éloignent, avec pour toile de fond une Naples sombre, en ébullition.
Anne
Virginie Despentes, Vernon Subutex, Graset, 2015-2016
QUI EST VERNON SUBUTEX ?
Une légende urbaine.
Un ange déchu.
Un disparu qui ne cesse de ressurgir.
Le détenteur d’un secret.
Le dernier témoin d’un monde disparu.
L’ultime visage de notre comédie inhumaine.
Notre fantôme à tous.
Stéphanie
J.M. Coetzee, Disgrâce, Seuil, 2001
Âgé de 52 ans et deux fois divorcé, David Lurie enseigne la poésie romantique et la communication à l’université du Cap. Encore jeune de corps et de cœur, ce Don Juan du campus se laisse aller à un dernier élan de désir, d’amour peut-être. Mais la petite étudiante se moque bien de Wordworth et de Byron et l’aventure tourne mal. Convaincu de harcèlement sexuel, David Lurie démissionne.
Réfugié auprès de sa fille Lucy, dans une ferme isolée, il tente de retrouver un sens au seul lien qui compte encore à ses yeux. Mais les temps ont changé. La fracture sociale est arrivée jusqu’au cœur de ce pays et la violence n’épargne pas les campagnes. L’idylle pastorale tourne au cauchemar.
Sylvain Prudhomme, Les Grands, Gallimard, 2014
Guinée-Bissau, 2012. Guitariste d'un groupe fameux de la fin des années 1970, Couto vit désormais d'expédients. Alors qu'un coup d'État se prépare, il apprend la mort de Dulce, la chanteuse du groupe, qui fut aussi son premier amour. Le soir tombe sur la capitale, les rues bruissent, Couto marche, va de bar en terrasse, d'un ami à l'autre. Dans ses pensées trente ans défilent, souvenirs d'une femme aimée, de la guérilla contre les Portugais, mais aussi des années fastes d'un groupe qui joua aux quatre coins du monde une musique neuve, portée par l'élan et la fierté d'un pays. Au cœur de la ville où hommes et femmes continuent de s'affairer, indifférents aux premiers coups de feu qui éclatent, Couto et d'autres anciens du groupe ont rendez-vous : c'est soir de concert au Chiringuitó.
Gabrielle
Denis Michelis, Le Bon fils, éditions, Noir sur blanc, 2016
Un père et son fils cherchent à se faire une place l’un auprès de l’autre dans une nouvelle vie à la campagne. Mais comment peuvent-ils espérer en leur avenir si le fils refuse de bien travailler au lycée et si le père néglige son rôle de parent ? L’arrivée inopinée d’un dénommé Hans, un « ami » de longue date, personnage équivoque aux méthodes étranges, bouscule leur vie et lui donne un sens insoupçonné.
Le roman entrelace obsessions et métaphores sur le mythe d’Œdipe et nous donne à mesurer à quel point le passage à l’âge adulte transfigure la réalité.
Marinette
Audur Ava Olafsdottir, L 'Exception, Zulma, 2014
« Tu seras toujours la femme de ma vie. »
Dans le vacarme d’un réveillon de nouvel an, María n’entend pas ce que Floki, son mari, lui annonce : il la quitte pour son collègue, spécialiste comme lui de la
théorie du chaos.
Heureusement, dans la nuit de l’hiver polaire, Perla est là, charitable voisine d’à peine un mètre vingt, co-auteur de romans policiers et conseillère conjugale, qui surgit à tout moment de son
appartement de l’entresol pour secourir fort à propos la belle délaissée...
Ni Perla la naine surdouée, ni María l’épouse idéale démunie devant une orientation sexuelle désormais incompatible, ni les autres acteurs de cette comédie dramatique à l’islandaise – adorables
bambins, belles-familles consternées ou complices, père génétique inattendu – ne détournent le lecteur d’une alerte cocasserie de ton, d’une sorte d’enjouement tendre, de brio ininterrompu qui
font de l’Exception un grand roman de la déconstruction et de la reconstruction narcissique à la portée du commun des mortels.
Monique
Marina Tsvétaïéva, Les Poésies d’amour, Éditions Circé, 1912-1941
« Chaque vers est enfant de l’amour » écrivait Marina Tsvétaïéva. Mais si l’exacerbation amoureuse, l’énergétique passionnelle est effectivement une des caractéristiques de son œuvre, ce qui frappe avant tout, au-delà de la liste infinie des « muses » masculines ou féminines, c’est qu’elle n’est que très peu assimilable à la poésie amoureuse, classique ou moderne. Il s’agit non pas tant de chanter, célébrer, sanctifier l’objet de sa passion, son propre sentiment, de mettre en scène l’épiphanie de l’amour ou la souffrance de la séparation, que de fonder sa poésie, donc son être même, sur un « absolu de l’amour » antérieur au monde et qui trouve sa plus parfaite expression dans le langage fondateur.La poétique de la rupture, propre à Tsvétaïéva, déterminait elle-même dans une grande mesure son comportement amoureux. Le traducteur s’est par conséquent efforcé de restituer les articulations sémantico-prosodiques de cette « étreinte de poésie » qui, lorsqu’elle aura reflué, ne pourra déboucher que sur la mort. « Puisque j’aurai pu cesser d'écrire des poèmes, je pourrai aussi un beau jour cesser d’aimer. Alors, je mourrai. Et ce sera bien sûr un suicide, car mon désir d’amour est tout entier désir de mort », avait-elle consigné dès mars 1919 avec une précision cliniquement prémonitoire. Marina Tsvétaïéva, un des plus grands poètes russes, avait choisi l’exil en 1922 puis était rentrée en Union Soviétique dix-sept ans plus tard, avant de se pendre à une vieille poutre le dernier dimanche du mois d’août 1941.
Marine
Philippe Forest, Crue, Gallimard, 2016
Marqué par un deuil déjà ancien, un homme décide de revenir dans la ville où il est né et où il a autrefois vécu. Tout a changé. Pourtant, petit à petit, les mêmes fantômes fidèles s’en retournent vers lui sous les apparences étranges et familières qu’ils ont désormais revêtues. Dans le quartier où il s’est installé, de grands travaux sont en cours. Les immeubles en passe d’être démolis voisinent avec les constructions nouvelles. Autour de l’homme qui raconte son histoire, les signes se multiplient. La demeure où il a élu domicile lui semble comme une maison hantée perdue au beau milieu d’un vaste terrain vague. Il y fait la connaissance d’une femme et d’un homme dont il finit par s’imaginer qu’ils détiennent peut-être la clef du mystère qui les entoure. Le roman vécu se transforme alors en une fable fantastique dévoilant le vide où s’en vient verser toute vie et qui en révèle la vérité.
Arlette Farge, La Révolte de Mme Montjean, Arlette Farge, Albin Michel, 2016
1775, Paris est en colère. Mme Montjean, femme d’artisan, aussi : les heures passées à coudre, à s’occuper de son foyer, des enfants... Elle veut vivre comme
les aristocrates, être belle et désirable, connaître l’ivresse des sens. Mme Montjean vient de découvrir certains plaisirs libertins : pinceries, fouet et culottes déboutonnées… d’où son
effervescence. Pendant deux ans, elle va faire tourner les têtes et va conduire son mari au bord de la ruine. C’est lui qui a tenu le journal sans équivalent de cette crise de conscience,
prélude à la Révolution.
Vénus Khoury-Ghata, Les Derniers jours de Mandelstam, Éditions Mercure de France, 2016
Le poète fou caché sous sa couverture continue à balbutier des choses. Ses mots refusent de mourir. Le vacarme des trains n’empêche pas le poète de se réciter ses
poèmes, de se les déclamer. Il entend des ovations. Il peut mourir en paix maintenant qu’il se sait apprécié. Moins fou, Mandelstam comprendrait que ce qu’il prend pour des ovations ne sont que
des réclamations, ses camarades, des déportés comme lui, veulent du pain et pas des mots. Mort, ils continueront à lever son bras pour profiter de sa ration.
En 1938, le grand poète russe Ossip Mandelstam a 47 ans et se meurt dans un camp de transit près de Vladivostok. Staline, « le montagnard du Kremlin, l’assassin et le mangeur d’hommes », est le
responsable de sa déchéance. Du fond de sa cellule, perdu dans son monde peuplé de fantômes, Mandelstam revoit défiler sa vie : quatre décennies de création et de combat, aux côtés de Nadejda,
son épouse adorée, et de ses contemporains, Akhmatova, Tsvétaïeva, Pasternak et bien d’autres…