L’atelier des Strésor de Cécile Oumhani
Elyzad, septembre 2012
Le dernier opus de Cécile Oumhani rend hommage à un peintre, plus exactement à une famille de peintres d’origine allemande fuyant la guerre de Trente Ans : les Strésor. Protestante (« née dans l’hérésie »), cette lignée d’artistes est restée en marge de la splendeur et de l’effervescence de la grande cour de Louis XIV avant de tomber peu à peu dans l’oubli et la poussière de rares livres d’histoire.
Ainsi l’auteure redonne vie et couleur, à la manière d’une restauratrice virtuose, au seul tableau connu d’Henry Strésor, Le Mangeur d’huîtres. Une toile mystérieuse et belle qui naît littéralement sous les yeux du lecteur, couche par couche, par petites touches sensibles entre ombre et lumière. Une composition à l’image de la tortueuse histoire de cette famille tiraillée entre son déracinement, le non-dit initial, l’empreinte insidieuse de la religion et les aléas du destin. De la même manière, elle évoque l’histoire étonnante de la fille du peintre, Anne-Renée, qui sera une des premières femmes à être acceptée dans le sanctuaire très fermé et misogyne de l’Académie royale de peinture et sculpture.
Cécile Oumhani mêle habilement histoire et fiction en permettant au lecteur de se glisser discrètement dans les ateliers et l’intimité de ce siècle des Grands Peintres où l’on peut croiser aussi bien les frères Le Nain que des histoires d’amour et de famille. Loin du foisonnement et de la richesse du XVIIe siècle qui pourraient éblouir et masquer de fait des pans entiers d’une réalité complexe, le roman de Cécile Oumhani apporte un éclairage saisissant sur l’âpreté des conflits religieux et sociaux en cours et sur les prémices d’une Fronde qui allait finir par éclater.
Blés de Dougga de Alia Mabrouk
Elyzad poche
Blés de Dougga transporte le lecteur sur les rives enchanteresses de l’Afrique du Nord au temps du grand Empire romain. Le grand Empire se délite inexorablement, il a plus que jamais besoin de sa province Africa pour enrayer la terrible famine qui fait rage sur son sol.
Caecillius Metellus, procurateur carthaginois se voit confier la lourde tâche de convaincre les notables de la cité de Dougga d’accepter de payer ce tribut vécu comme injuste pour enrayer le fléau. Mais un homme se dresse alors, le seigneur Madeii, personnage central de l’économie de Dougga, pour défendre les intérêts du peuple de Thugga, au risque de s’exposer aux coups de l’armée romaine.
Esprit libre, il devient le chantre de la liberté en récusant de surcroit le mythe de la cité romaine proclamée comme idéale.
Ce livre d’Alia Mabrouk se veut non seulement un hymne aux us et coutumes de la Tunisie mais aussi et surtout une analyse subtile de l’esprit indépendant et rebelle déjà profondément ancré chez les Tunisiens du IIe siècle.
Rêves d’hiver au petit matin
par Bernard Magnier
Elyzad, septembre 2012
Bernard Magnier est un journaliste et un spécialiste de la littérature africaine. Parmi ses innombrables activités, il collabore en 2012 avec Valérie Baran, directrice du Tarmac (scène internationale francophone basée dans le xxe arrondissement) en tant que conseiller littéraire. Il gère un collectif réunissant cinquante écrivains et dessinateurs de vingt-cinq pays du monde, qui a pour objet d’écrire des textes inspirés par ces deux mots « printemps - arabes ». Tout un programme.
Le 17 décembre 2010 restera comme une date historique, celle où un dramatique événement allait embraser le monde arabe et consumer au passage bien des dictatures locales que l’on imaginait indéboulonnables… Ce jour-là, Mohamed Bouazizi, un pauvre marchand ambulant, s’immole pour crier son désespoir et son amertume. Il devient alors le tragique symbole d’une lutte, d’une révolution qui allait se répandre comme une traînée de poudre dévastatrice dans tout le Maghreb.
Deux ans plus tard, des écrivains donnent leurs sentiments sur ces révolutions arabes, partagent leurs points de vue, leurs espoirs et leurs désillusions aussi. Toute la palette des émotions transpire dans ce recueil où foisonnent les réactions, les témoignages et les vibrations qui les animent. La criante détresse de ces peuples, la souffrance lancinante qui transparait sans cesse et le désarroi ne laissent pas indifférent le lecteur pris dans le tourbillon des émotions. Le politique ne sort pas grandi dans ces récits sans concession, leur cynisme est fustigé mais la contestation va beaucoup plus loin puisque « les révolutions arabes apparaissent non seulement comme une révolte contre les pouvoirs politiques mais aussi et surtout contre le pouvoir de la société ».
Des textes qui prennent encore une toute autre résonnance en croisant l’actualité, le 7 mars dernier, un jeune vendeur de cigarettes s’immolait au milieu de la foule effarée, au cœur de Tunis, en dénonçant encore et toujours cette même misère et cette même désespérance qui suinte d’ailleurs dans les nombreux textes réunis dans l’ouvrage. Le constat s’impose de lui-même, tout reste à faire parce que rien n’a encore été fait.
Le Sanglot de l'Homme Noir, Alain Mabanckou
Fayard
Le dernier livre d’Alain Mabanckou lance un pavé dans la mare en troublant la plate surface du consensus. Il renvoie, en effet, dos à dos, les discours victimaires et accusateurs sur la « question noire ». A savoir les clichés dont est victime la « communauté noire » mais aussi ceux dont elle se pare avec complaisance.Fort de son expérience et de son parcours, il répond ainsi à la vision fantasmée et politisée d’une Afrique victime et unie. Il s’appuie dès lors sur un florilèged’exemples concrets offerts par l’actualité : le débat sur l’identité nationale, la responsabilité noire dans l’histoire de la traite, le Front National et d’autres choses. La lecture de cet essai est nécessaire, voire indispensable pour ceux qui veulent dessiller leurs yeux de toute manipulation politique, sociale ou encore civilisationnelle.
Nagasaki, Eric Faye
Stock
Nagasaki s’inspire d’un fait divers lu dans les journaux japonais. Shimura-san est un célibataire dont la vie est ponctuée par les allers-retours entre son domicile et son travail à Nagasaki. Il mène une existence stricte, épurée et surtout ordonnée. Pourtant ce quotidien va basculer dans l’énigmatique. Il remarque que des objets de son appartement ont été déplacés ainsi que des niveaux et quantités de nourritures ont baissé sans qu’il en soit la cause. Inquiet, il décide de filmer son foyer pendant son absence pour élucider ce mystère entêtant. Le livre d’Eric Faye mêle à la fois le fantastique et le réel pour le grand plaisir du lecteur qui se laisse envahir au fur et à mesure par une « inquiétante étrangeté ». Un roman profond.