Toutes les citations sont extraites de La Traversée des fleuves, Éditions du Seuil, collection Points.
A
A comme Hans Christian Andersen
Jenny Lind fut « managée » par Barnum, à l’instar de Lola Montès, ce qui lui rapporta
cent soixante-seize mille dollars. Leur fortune considérable permit à Jenny et à Otto de
soutenir financièrement de jeunes musiciens suédois. Jenny joua aussi un grand rôle dans
la vie d’Andersen, le célèbre conteur suédois, auteur entre autres de La Petite Marchande
d’allumettes. Otto et elles eurent trois enfants, qui au lendemain de la guerre de 14-18 cessèrent
toute espèce de relations avec la partir de la famille restée en Allemagne. p. 26
A comme Gabriele D’Annunzio
Nous finîmes par arriver, dans un taxi très haut sur roues, entre de hauts murs ocre dans
un grand jardin sec et odorant, à flanc de colline, devant une grande maison, ocre elle
aussi, cachée par des cyprès. C’était à l’entrée de Settignano, sur la pente qui menait au village,
un grand podere qui avait, disait-on, appartenu à Gabriele D’Annunzio, une sorte de
Barrès italien, d’autant plus célèbre à cette époque qu’il avait, malheureusement, soutenu
Mussolini. La route qui longeait le podere s’appelait viale Gabriele D’Annunzio – il était
mort juste avant, en mars 1938. p. 154
C
C comme Albert Camus
Ma gauche à moi, c’était celle d’Albert Camus, dont je lisais les éditoriaux dans Combat.
p. 300
D
D comme Daniel Defoe
Comme tout le monde, je découvris aussi avec émerveillement Robinson Crusoé et en reconstituait
l’univers autour de moi, mais sans que je comprenne pourquoi je ne parvenais pas à
me détacher du personnage de Vendredi, ce fut comme un coup de tonnerre, comme une
audace insensée, je n’en crus pas mes yeux. J’étais Vendredi en toute innocence mais je savais
que ma rêverie était coupable, interdite. Il y avait quelque chose de plus fort que moi,
d’inconnu, que je ne pouvais pas même imaginer, je ne voyais rien que de paternel dans
les relations entre Crusoé et le jeune garçon. Qu’aurais-je bien pu y voir d’autre ? Je savais
que l’image de ce garçon nu sur son île serait désormais secourable, qu’elle me sauverait
du chagrin. Elle complétait curieusement l’image de cette femme qui m’attendait quelque
part au bout de l’horizon du temps. p. 236
E
E comme Norbert Elias
Il (mon père) fit de brillantes études à Fribourg-en-Brisgau, entre autres, et fut reçu en
droit en 1896. Il avait été membre d’une de ces corporations d’étudiants nationalistes où
on se battait au sabre sous le moindre prétexte – ces associations étaient appelées schlagende
Verbindungen (corporations qui se battaient au sabre), par opposition aux associations
d’étudiants libéraux ou sociaux-démocrates, qui refusaient ces pratiques. Cette
coutume barbare du duel a eu une très grande importance dans l’édification du IIe Reich,
entièrement fondé sur des bases militaires. Bien entendu, ces duels n’entraînaient plus de
morts ou de blessures graves et ne gardaient pour ainsi dire qu’une valeur symbolique.
Le sociologue Norbert Elias a montré dans ses Études sur les Allemands les conséquences de
cette coutume : esprit de caste et soumission à certains clichés nationaux figés, mais aussi
culte du sang et passion du sacrifice, pourvu que ce fût celui des autres, paternalisme et
conviction de la supériorité physique de l’Allemagne sur toutes les autres nations européennes.
Conviction que mon père, malgré sa culture très étendue et sa parfaite connaissance
du latin et du grec, partageait entièrement. p. 41
F
F comme Gustave Flaubert
Mon père travaillait dans un hôtel tenu par des Français et fréquenté par des coopérants,
Nous échangeâmes quelques mots ; il tint absolument à m’offrir ce Bouvard et Pécuchet dont
je lus simplement l’extraordinaire première phrase. Dans ce seul « Comme », le premier
mot du livre, tout un monde basculait, d’un seul coup, dans le visible, avec la direction du
boulevard, la pesée de la chaleur, les bruits et les odeurs.
Ce livre que je lus au retour à Maubuisson, en quelques heures, fut une expérience purement
visuelle, mais comme si c’était moi qui l’avais faite, comme si c’était moi qui avais
vécu, témoin, tout ce qui était raconté. p. 308
F comme Theodor Fontane
Mon grand-père Alfred est né le 15 avril 1832. Il était lui aussi très doué musicalement,
chantait très bien et aurait voulu devenir historien, mais, l’un de ses frères faisant déjà des
études, il dut se rabattre sur le commerce, pour lequel il n’était pas du tout doué. Il habita
un certain temps à Berlin, dans le quartier résidentiel de Steglitz, où il se lia d’amitié
avec le grand romancier Theodor Fontane, qui a su si bien décrire la société prussienne au
début de l’empire bismarckien et le fait apparaître dans un de ses romans, Shach von Wuthenow
– c’était une private-joke, en l’honneur des innombrables parties de 66 (une sorte de
bataille) qu’ils firent ensemble sur le grand balcon de leur maison. p. 27
G
G comme Maxime Gorki
Le hasard voulu que je découvre, peu de jours après, Enfance de Gorki et, instantanément,
je m’assimilai à Sacha, j’étais lui et je me voyais, retenant ma culotte à mi-genoux, me
diriger vers le banc, m’y coucher docilement à plat ventre et y être attaché nu. J’étais au
comble d’un étrange affolement, et pervers déjà, au point d’être heureux, un peu plus tard,
d’avoir tout comme Sacha crié sous les cinglons. p. 257
G comme Hans Grimm
Vers 1927, il (mon père) entretint une correspondance suivie avec l’écrivain Hans Grimm,
l’un des auteurs les plus lus de l’époque et dont le nazisme reprendra comme slogan de
propagande le titre le plus célèbre, Volk ohne Raum (Peuple sans espace), ouvrage dans
lequel il décrit un peuple fictif ardent et puissant qu’étouffent des frontières qui lui ont été
arbitrairement imposées par d’orgueilleux voisins. Il s’agit bien entendu de l’Allemagne
victime du traité de Versailles, traité qui fut, on le sait, avec l’antisémitisme exterminateur,
l’un des deux thèmes porteurs de la propagande nazie. p. 47
H
H comme Heinrich Heine
Vers la même époque, c’était en 1937, on nous fit apprendre à l’école le célèbre poème
« Die Lorelei » (« La Lorelei ») dans notre Lesefibel, notre livre de lecture. En dessous,
un peu décalé, en guide de nom d’auteur, on pouvait lire : « Dichter unbekannt » (poète
inconnu). […] Or, d’une manière ou d’une autre, je devais déjà avoir entendu dire que le
poème était de Heinrich Heine, dont je connaissais l’existence. Heinrich Heine était juif et
converti, de plus c’était un esprit négateur et frondeur, il n’était pas positif. Heine repré-
sentait cette Allemagne ouverte, à la fois romantique et ironique, que les nazis voulaient
éradiquer à tout jamais. Il ne faut pas oublier, en effet, que le nazisme fut aussi et peutêtre
avant tout une entreprise d’éradication de l’Allemagne elle-même. p. 124
K
K comme Franz Kafka
Mais je ne lus Le Procès qu’un an plus tard, en 1950, et cette fois dans un jardin aux environs
de Kiel. Ce livre me foudroya littéralement. Cette prose précise, d’une absolue limpidité,
était sans précédents. Ce récit, c’était l’aventure humaine qui déplace son trajet avec
elle-même, au fur et à mesure qu’elle avance et suscite les obstacles auxquels elle se heurte.
Tout n’apparaît que quand Joseph K. est là et n’existe pas en dehors de lui. En ce temps-là,
Kafka était si peu connu des germanistes qu’on ne trouvait ses oeuvres qu’à la
« réserve » de la bibliothèque de la Sorbonne, une petite salle qui donnait sur une cour. J’y
lus, dans un état d’exaltation permanent, l’ensemble de ses écrits et un grand apaisement
me gagna, j’avais retrouvé ma langue maternelle humaine, précise, ouverte, poignante et
d’une ironique rigueur, enfin libérée de ses wagnériennes lourdeurs. p. 352
K comme Emmanuel Kant
Sur une table je vis en édition brochée, de papier jaune, un ouvrage dont on nous avait
parlé en philo, la Critique de la raison pure de Kant, traduction Barni-Archambault, chez
Flammarion. J’emportai cela dans ma chambrette et soudain, en lisant la deuxième préface,
je fus pris d’un saisissement, d’une véritable commotion, semblable à celle ressentie
en 1943, à découvrir ce fond muet de l’existence propre. Ce fut un ébranlement dans la
tête, la sensation physique du comprendre dont je sus, à partir de là, que je le reconnaîtrais
partant, dès que je le rencontrerais en philosophie. J’avais fait connaissance avec la relativité
des idées et de l’infranchissabilité du donné a priori de l’espace et du temps. C’était en
d’autres termes, plus complexe et embarrassé, cette distance que je ne cessais de ressentir à
l’intérieur de moi-même. p. 293
K comme Heinrich von Kleist
Je fus assez surpris de réussir d’un seul coup la moitié de ma licence. J’avais découvert,
il était au programme, l’écrivain Heinrich von Kleist et l’étonnante nouvelle intitulée
Michael Kohlhaas, l’histoire extraordinaire d’un homme progressivement engagé, presque à
son insu, dans des événements de plus en plus considérables. Pour un couple de chevaux, il
va dévaster une province entière et devenir détenteur du sort futur d’une dynastie. C’était
la révolution fortuite de quelque chose d’inéluctable dont rien de permet pourtant au
premier moment de se douter qu’il va tout bouleverser. p. 354
K comme Arthur Koestler
À la fin de réunion, l’un des participants fit un bout de chemin avec moi. Il m’invita à l’ac-
compagner jusque chez lui, c’était un ouvrier spécialisé dans le nettoyage des cuves et qui
habitait une grande chambre où pendait du linge. Il était troskiste et chargé d’empêcher
les jeunes de mon genre de se laisser avoir par le parti. C’est par lui que j’entendis pour la
première fois parler du pacte Hitler-Staline de 1940 et, intuitivement, je devinais que tout
ce que Koestler racontant dans Le Zéro et l’Infini, que je venais de lire, était vrai. Le nazisme
m’avait appris que le mensonge masquait tous les meurtres et que faire dire à un innocent
qu’il est coupable est le b.a.-ba, le fondement même de la dictature. Je sus d’emblée que
tout ce que disait Koestler était une description fidèle de la réalité. Je connaissais trop bien
le nazisme pour ne pas deviner ce qui pouvait se passer à l’Est. p. 299
L
L comme Martin Luther
Entre la chambre à coucher de mes parents et la salle de bais, il y avait le vestiaire personnel
de mon père. J’y grimpais souvent sur un tabouret et prêchais : j’étais en ce temps un
enfant très pieux. Dans ma vanité, je me croyais doué du don de la parole et voyais déjà
des foules entières prosternées devant moi qui étais en relation directe avec Notre Seigneur
Jésus-Christ. Je ne sais pas si mon père en fut dupe, mais il me lisait très souvent la Bible,
tant l’Ancien que le Nouveau Testament, dans la prodigieuse traduction de Luther dont
la somptueuse rugosité a été dans l’enfance ma plus importante initiation à ma langue
maternelle. p. 137
M
M comme Stéphane Mallarmé
J’avais ajouté la prose à la poésie, je faisais dans les deux ; j’avais lu Divagations de Mallarmé
et commençai à comprendre que les langues avaient des niveaux inapparents où il y
avait bien des choses à explorer. p. 296
M comme Hector Malot
Mais le livre qui, avant Les Confessions de Rousseau, me mena au coeur de l’aventure littéraire
et de ce que peut être la prise de possession de l’âme, de la personne entière par un
libre, ce fut Sans famille, d’Hector Malot. Je m’identifiai, bien sûr, à Rémi, nul récit ne me
fit verser autant de larmes. p. 235
M comme Thomas et Heinrich Mann
Mon père fut aussi un ami très proche de ce personnage qu’on voit apparaître dans La
Montagne magique de Thomas Mann sous le nom de Conseiller Behrens. Il s’appelait en réalité
Jessen, il avait ouvert un cabinet médical à Aumühle, le village voisin, où il possédait
une grande villa près de la petite gare. C’était un médecin très célèbre, il avait dirigé à Da-
vos une clinique très chic qui a inspiré à Thomas Mann la célèbre clinique de La Montagne
magique. Le fils de l’écrivain, Golo, restera fidèle à Aumühle, où il séjourna très souvent,
jusqu’à sa mort en 1988. La femme de Thomas Mann, née Pringsheim, était elle une relation
éloignée de ma mère. Le personnage du roman Le Sujet (Der Untertan) de Heinrich
Mann, le frère de Thomas, appelé Jadassohn, ressemble un peu à mon père. Il était en ce
temps le type même du Streber, de l’ambitieux, qui voulait en remontrer aux Allemands en
fait de patriotisme et de dévouement au « Reich », deuxième du nom. p. 51-52
M comme Karl Philipp Moritz
Au XIXe siècle, l’Allemagne n’a pas l’équivalent du roman social à la Balzac : ses héros
sont souvent des êtres solitaires, livrés à leurs émotions. A cet égard, je citerai le trop méconnu
Anton Reiser, de Karl Philipp Moritz (1727-1793), le plus beau livre que j’aie lu. Ce
roman, publié entre 1785 et 1790, est mon histoire, celle d’un enfant d’un milieu piétiste,
nourri par charité, et à qui on le reproche, qui a faim, qui souffre d’engelures, mais qui ne
reste qu’à « orner son esprit ». C’est mon livre. Rien que d’en parler, je suis bouleversé.
Ce roman creuse dans la cave même du sentiment de l’existence : cet enfant maniaco-dépressif,
qui oscille entre désespoir et exaltation absolue, est au comble du sentiment de
l’existence ; c’est un Rousseau malheureux. p. 70
M comme Alfred de Musset
Au collège, il faisait des cours de littérature à des galopins qui n’avaient jamais ouvert un
livre et qui ne comprenaient que les menaces et les coups. C’est à cet homme que je dois
mes premiers enthousiasmes littéraires, qui bien sûr se concentrèrent sur Musset, dont je
lus les Nuits, sans tout en comprendre, mais aussi les pièces comme Fantasio, On ne badine
pas avec l’amour ou surtout Lorenzaccio. p. 234
P
P comme Blaise Pascal
Une expérience déterminante et véritablement foudroyante fut la découverte, alors que je
ne devais guère avoir plus de quinze ans, des extrais des Pensées de Pascal, certaines d’entre
elles produisirent en moi un véritable choc physique, une émotion et un enthousiasme
particuliers que ma langue maternelle ne m’avait jamais donné de ressentir. p. 207
P comme Charles Péguy
Le rythme très particulier de la poétique de Péguy me fit découvrir ce pan « océanique » du
français que je n’avais, de façon si directe, entrevu que chez Victor Hugo, dont je n’avais lu
qu’Océano Nox et quelques pages des Misérables, mais cela suffit pour en deviner l’accent.
p. 245
P comme Ernest Psichari
Mais j’eus aussi l’occasion de découvrir Ernest Psichari et, dans son livre Le Voyage du centurion,
cet esprit de chevalerie et d’élégance morale assez proche de la rude noblesse de Péguy.
Il y avait là-dedans tout un attirail militaire qui à la fois me révulsait et me fascinait
et en même temps n’était pas sans évoquer la droiture de l’esprit de Résistance. p. 245
P comme Marcel Proust
Ce fut un grand mariage avec voyage de noces sur les bords du lac Léman, alors très à
la mode ; on descendait dans les palaces. C’était un peu le « grand monde » décrit par
Proust, mais deux crans en dessous. p. 38
R
R comme Jean-Jacques Rousseau
C’est ainsi que je découvris Rousseau. La directrice m’en avait parlé à plusieurs reprises et
m’avait montré, au bout de la vallée, la montagne qui dominait les Charmettes, où il avait
vécu dans son adolescence. Je découvris quelques extraits des Confessions dans un manuel de
littérature d’un de mes camarades, venu là pour tenter, à nouveau, son bachot, après deux
échecs successifs : c’était le récit de la fuite et qui commence par le paragraphe bien connu
du premier livre : « J’atteignis ainsi ma seizième année, inquiet, mécontent de tout et de moi,
sans goûts de mon état, sans plaisirs de mon âge, dévoré de désirs dont j’ignorais l’objet,
pleurant sans sujet de larmes, soupirant sans savoir de quoi ; enfin caressant tendrement
des chimères faute de rien voir autour de moi qui les valût. »
Ce fut comme un coup de foudre, comme si l’écrit s’était fait corps, comme si ces lignes
avaient été devinées à travers moi, comme si elles me reconnaissaient, il y avait donc eu
quelqu’un d’autre qui, au secret de lui-même, avait ressenti de la même façon, dont on
pouvait, à travers son propre corps, deviner comment il avait été lui-même, au milieu de
lui-même. p. 254-255
Je lisais et relisais sans cesse ces mêmes pages des Confessions et un soulagement extraordinaire
m’envahit, à lire ainsi chez un autre ce qu’il en était le plus intensément et le plus
secrètement de moi. On en parlait ouvertement dans un livre dont il fallait même lire des
extraits pour le baccalauréat. A l’intérieur de moi-même, j’étais maintenant transporté
d’une joie sans limites, d’un enthousiasme qui colorait toute chose et qui me consolidait,
m’affermissait au sein de moi-même. Dehors et dedans s’équilibraient. Tout était soudain
au même niveau, je n’avais plus le sentiment de tomber dans un abîme. p. 258-259
S comme Alfred de Vigny
Je lus la pièce de Vigny, dont je ne compris guère l’intrigue. Mais c’est bien sûr « La Mort
du loup » du même Vigny qui m’enthousiasma le plus. Ce poème me révéla à moi-même.
Comme bien des jeunes de l’époque, je m’assimilais au loup, j’étais lui. Je pouvais enfin
rassembler et formuler mon chagrin. Ce fut une expérience littéraire constitutive, comme
le furent quelque temps après, j’avais dix-huit ans au moins la découverte tardive et
bouleversante du Petit Chose de Daudet et celle, bien plus tardive encore, de Unterm Rad
(L’Ornière), de Hermann Hesse. p. 234
W
W comme Otto Weininger
Il (mon père) était, en effet, Deutschnational, convaincu de la supériorité allemande sur
le reste du monde. L’être allemand était véritablement destiné, selon lui – en quoi il était
fidèle sujet de son empereur –, à rédimer le monde au moyen de la « culture » et non,
évidemment, de la guerre. Tout ce qui était allemand lui semblait à ce point naturel qu’il
était presque étonné que tout le monde ne le fût pas. Il admirait les autres cultures, les
autres pays (la France, en particulier), mais les autres c’étaient, en somme, des Allemands
moins parfaits. En cela, son nationalisme était très européen pour l’époque : un nationaliste
français éprouvait les choses à peu près de la même manière. Ainsi était-il un lecteur
assidu de Weininger, l’auteur bien connu de Sexe et Caractère, pour lequel la « dégénérescence
» était due à la prédominance de la féminité, à laquelle il assimilait les juifs, dont il
faisait partie. Cela montre bien les égarements dont la « pensée » était capable. p. 46
W comme Johann-Hinrich Wichern
Le livre qui, lui, servira de base à ma rencontre avec Victor Hugo ou Le Petit Chose de
Daudet, ou bien d’autres personnages littéraires, c’était, rédigée à l’usage des enfants, une
biographie du « pédagogue » Johann-Hinrich Wichern – quelle étrange intuition avait
bien pu pousser mes parents à mettre ce livre-là dans notre malle ? p. 192
Z
Z comme Stefan Zweig
Cette maison répondait de façon presque trop parfaite à l’imaginaire de ce qu’on appelait
les Gründerjahre, les « années fondatrices », c’est-à-dire la période qui va de 1871 à 1914 et
qui a vu s’édifier l’Empire allemand, sorti d’un ensemble de principautés retardataires, où
l’évolution économique se faisait en sens contraire des données politiques encore complètement
figées. C’est l’époque décrite avec tant de précision par Stefan Zweig dans Le Monde
d’hier. p. 65